La semaine qui a débuté vendredi dernier sera celle qui fera résonner le plus les caisses enregistreuses des détaillants de la province, et de loin.

De ses débuts anecdotiques au Québec il y a moins de 10 ans à son actuelle omniprésence, la semaine complètement folle qui inclut le Vendredi fou et le Cyberlundi a défini le commerce de détail comme aucun autre évènement auparavant.

Un Québécois sur deux procédera à des achats et les ventes moyennes pour chaque Québécois représenteront autour de 350 $.

L’impasse mexicaine pour les détaillants

L’impasse mexicaine (mexican standoff, en anglais) est une situation où au moins trois personnes pointent une arme en direction d’un des belligérants. Les impacts économiques de la semaine folle sont tels qu’ils forcent aujourd’hui tous les détaillants à se positionner et à adhérer à des pratiques qui leur sont en fin de compte dommageables. Ils n’ont simplement pas le choix, croient-ils.

Mais les seuls détaillants qui gagnent vraiment sont ceux qui ont le gros bout du bâton : les géants qui refilent les rabais à leurs fournisseurs et qui profitent de l’affaiblissement des plus petits acteurs, qui eux n’arrivent pas à s’en tirer à bon compte et doivent trop souvent baisser pavillon.

Des coûts sociaux et structurels importants pour les employés et les entreprises

Cette semaine folle entraîne des conséquences opérationnelles et financières importantes pour les entreprises. Elles doivent gérer une croissance anormale de leurs ventes en augmentant leurs ressources : plus d’heures travaillées, plus de sécurité, la mise en place d’infrastructures pour répondre à un contexte extraordinaire.

Elles vont financer artificiellement leur fonds de roulement à même des ventes qui ne leur ont pas permis de dégager une marge adéquate. Elles impacteront leurs stocks qui ne pourront être regarnis à temps pendant la période payante avant Noël. En d’autres mots, plusieurs d’entre elles partent en vrille. Pas étonnant que les faillites pour les entreprises de détail soient bien plus nombreuses durant le premier trimestre de l’année.

Des économies, vraiment ?

Il ne fait pas de doute que certains produits seront offerts à bon prix. Francis Vailles a d’ailleurs expliqué dans une chronique en fin de semaine, sur le bout des lèvres, qu’il aimait cette semaine parce qu’il attendait patiemment que le produit qu’il recherchait atteigne enfin un prix qui le rendait abordable.

Selon lui, la majorité des consommateurs magasinent sagement et n’augmentent pas indûment le consumérisme. Permettez-moi d’en douter.

Toutes les théories économiques comportementales vous confirmeront que l’homo consommatus n’est pas une créature rationnelle et choisit d’acheter plein de produits dont il n’a pas besoin ou pour lesquels il ne possède pas les moyens.

Il semble de plus que de nombreux détaillants usent de techniques répréhensibles pour faire croire à des rabais beaucoup plus importants que la réalité alors qu’ils seraient en fait de l’ordre de 2 % en moyenne.

Réglementer les soldes ?

Loin de moi l’idée d’implanter un encadrement réglementaire trop restreignant. La liberté individuelle est une valeur importante qu’il faut absolument défendre. Mais nous sommes en droit de nous questionner sur les coûts réels pour la société qu’entraîne tout ce cirque.

La France a choisi d’encadrer les soldes. Il n’y a que deux périodes de solde chaque année et les règles sont très précises : elles durent quatre semaines et se déroulent après les périodes de grande demande que constituent le temps des Fêtes et la fin des classes. Insatisfaite de la réglementation existante, la députée française Delphine Batho a proposé un amendement, qui a été retenu, à une loi qui vise à lutter contre le gaspillage et le développement de l’économie circulaire. Elle vise à interdire le Vendredi fou qu’elle qualifie de « pratique commerciale qui contribue au gaspillage des ressources, glorifie la surconsommation et constitue au final une arnaque par une publicité trompeuse ».

L’approche française m’apparaît déraisonnable, mais les constats et les intentions valent la peine d’y réfléchir.

Il faut s’assurer que les externalités réelles qu’entraînent les entreprises leur soient justement attribuées. Assurons-nous par exemple qu’elles paient leur juste part des coûts publics. Nous avons une fâcheuse tendance à tuer notre commerce local et à faciliter la vie des géants. Par exemple, le niveau de taxation municipal imposé aux commerces qui ont pignon sur les rues commerciales à Montréal doit impérativement être revu. Ce n’est pas normal qu’un petit commerce de la rue Saint-Denis paie 10 fois plus de taxes municipales au prorata qu’une grande surface en périphérie. C’est sans parler des impôts corporatifs et de l’imposition des taxes de vente.

Encourager l’économie responsable

Il faut souligner l’importance pour nos communautés des marchands locaux. Ils nourrissent nos artères et sont au cœur de la vie des quartiers. Chaque emploi créé chez les Walmart et les Amazon entraîne la disparition de deux emplois chez nos commerçants urbains.

Nous verrons de plus en plus de détaillants rejeter le mouvement cyberfou. Certains se différencient déjà en optant pour le Vendredi vert qui met plutôt l’accent sur la consommation responsable. D’autres choisissent de proposer une ristourne qui est remise à des organismes communautaires qui viennent en aide aux plus démunis. D’autres ont même choisi de fermer leur boutique pendant que la tempête passe.

N’oublions pas que la démocratie s’exerce tous les quatre ans dans l’urne, mais qu’elle s’exerce aussi quotidiennement avec son portefeuille. Il suffit d’être conséquent avec ses valeurs et ses convictions, qu’elles soient environnementales ou sociales. Parce qu’en fin de compte, le consommateur/citoyen aura toujours raison, ne l’oublions pas.

Bon magasinage des Fêtes à tous.

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