S’en prendre aux chroniqueurs en affirmant qu’ils devraient être exclus de l’aide annoncée par l’État a quelque chose de narquois. En faisant cela, Catherine Dorion sait pertinemment que les principaux intéressés auront forcément leur mot à dire sur la question. Nous, les commentateurs professionnels, avons toujours une opinion sur tout !

En revanche, l’exercice semble piégé. Comment répondre à la députée de Québec solidaire sans avoir l’air de vouloir protéger nos jobs ou sans hiérarchiser la valeur de nos collègues en vertu de critères arbitraires ? Le fait est que la situation est complexe. Beaucoup plus complexe qu’on ne nous la présente de part et d’autre.

Dans le contexte de crise médiatique qui sévit depuis des années, les chroniqueurs d’opinion sont le moyen qu’ont trouvé les médias pour attirer l’attention des lecteurs à peu de frais.

En plus de susciter passions et autres clics générateurs de revenus, l’opinion coûte beaucoup moins cher à produire qu’une information de qualité qui demande du temps, des ressources et du personnel qualifié.

Pour reprendre une analogie qui a elle-même déjà généré plusieurs chroniques, l’opinion, c’est un peu comme une ligne de coke, et les médias ont autant besoin d’aide pour s’en procurer que la ville de Québec a besoin d’un troisième lien pour contrer les embouteillages.

Évidemment, la position de Catherine Dorion a été caricaturée et rapidement, la députée de Taschereau a été accusée de s’en prendre à la liberté d’expression et de vouloir censurer ceux qui lui mènent la vie dure depuis son arrivée en politique. Or, Catherine Dorion ne dit pas que ces formes d’expression devraient être abolies, mais qu’étant donné qu’elles sont déjà favorisées, elles ne devraient pas faire l’objet d’une aide de l’État. Le problème, c’est que ce n’est pas ce qui a été annoncé, de toute façon.

L’aide annoncée par Québec en octobre pour soutenir les médias d’information est un crédit d’impôt remboursable sur des salaires. Or, la plupart des chroniqueurs d’opinion ne sont pas des salariés, mais des travailleurs autonomes. À moins que son statut ait changé depuis le conflit au Journal de Montréal, Richard Martineau est un pigiste. C’est l’argument qu’il utilisait en 2009 pour justifier le maintien de sa collaboration malgré le lockout. En réalité, Richard Martineau fait partie des travailleurs de l’information les plus vulnérables. 

Je vous laisse un moment pour rire un peu.

En effet, je ne m’attends pas à ce que vous ayez vraiment pitié de Richard Martineau, qui est sûrement parmi les chroniqueurs les plus privilégiés. Je ne peux présumer du cachet qu’il a réussi à se négocier, mais avec ses nombreuses tribunes, il n’est certainement pas à plaindre.

Sauf que les chroniqueurs d’opinion, c’est aussi Josée Blanchette au Devoir, Dalila Awadaau au Métro, Mathieu Charlebois à L’actualité, ou moi-même.

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, LE SOLEIL

« J’imagine que ce n’est pas à Rima Elkouri, Marc Cassivi ou Isabelle Hachey que Catherine Dorion pense lorsqu’elle remet en question l’aide de l’État au commentariat », écrit Judith Lussier.

Ça ne roule pas exactement sur l’or et ça doit bien souvent multiplier les contrats pour générer un revenu décent.

Il y a bien sûr des chroniqueurs salariés, mais j’imagine que ce n’est pas à Rima Elkouri, Marc Cassivi ou Isabelle Hachey que Catherine Dorion pense lorsqu’elle remet en question l’aide de l’État au commentariat.

Le terme « chroniqueur d’opinion » englobe plusieurs réalités économiques très différentes qui ont certainement un impact sur la façon dont chacun exerce son métier. Un salarié a généralement plus de temps pour fouiller ses dossiers, analyser des données, interviewer des experts, qu’un pigiste payé à la pièce sans égard à la qualité de sa recherche. En ce sens, l’aide aux salaires annoncée par la CAQ a peut-être du bon si elle entraîne la création de postes salariés, qu’ils soient pourvus par des chroniqueurs ou des journalistes, à gauche ou à droite. Plutôt que de s’en prendre à une appellation d’emploi fourre-tout et confuse qui suscitera invariablement la question de la légitimité de chacun, peut-être devrions-nous nous intéresser davantage aux conditions de travail dans lesquelles se produisent les journaux, comme le font habituellement les partis qui sont du bord des travailleurs.

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