Le cinéaste Martin Scorsese persiste et signe. Dans une lettre au New York Times, il justifie son affirmation controversée selon laquelle la franchise Marvel ne fait pas du vrai cinéma. Cette polémique met au jour l’importante disparité entre une culture industrielle immensément populaire et l’aspiration de nombreux artistes à s’en émanciper.

Personne ne remet en cause la nécessité d’avoir une culture au spectre le plus large possible allant du divertissement le plus léger aux œuvres complexes et parfois hermétiques. Mais l’équilibre à maintenir entre les diverses tendances demeurera un sujet inépuisable. Les œuvres commerciales se targuent de leur grande popularité, tandis que les plus exigeantes sur le plan artistique se voient reconnues par les pairs et récompensées par des prix.

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Robert Downey Jr. dans Iron Man

Ce qui ne satisfait personne : les premières voulant aussi leur part de récompenses et les secondes rêvant de rejoindre un plus large public. On en a vu un exemple au Québec alors que des chanteurs très populaires ont exprimé leur déception de ne pas être reconnus au Gala de l’ADISQ.

Produit commercial, œuvre d’art

Le débat opposant Scorsese à Marvel relève une fois de plus de l’opposition entre l’œuvre d’art et le produit commercial. Dans son texte du New York Times, le cinéaste dénonce un mode de fabrication : « C’est la nature même des films de franchise modernes : ils font l’objet d’études de marché, de tests d’audience, de vérifications, de modifications, d’examens et de remaniements jusqu’à ce qu’ils soient prêts à la consommation. »

À ces procédés, il oppose ce qui transforme les films en œuvres d’art : des personnages complexes remplis de contradictions, un spectateur confronté à l’inattendu et une importante recherche formelle. Le contraire du formatage pratiqué par la grande industrie culturelle en général.

Les concepteurs et les admirateurs des films Marvel ont fortement répliqué dès la première offense de Scorsese. Le succès des films de superhéros se justifie par leur immense popularité. Le marché et la démocratie parlent d’une même voix : la forte affluence est un critère objectif et incontournable permettant de juger de l’importance d’une œuvre. L’univers largement autoréférentiel de Marvel renvoie en fait à ce qui a toujours plu dans le cinéma d’Hollywood : l’affrontement grandiose et manichéen entre le bien et le mal comme dans les westerns et les films d’action.

Le fait de s’appuyer sur la grande popularité n’est surtout pas un argument fallacieux. Les choix clairs et nets de la majorité méritent une véritable attention sans qu’ils ne forcent non plus à mettre de côté le sens critique.

Le mépris a trop longtemps été une façon de discréditer une production populaire qui méritait mieux. D’ailleurs, Scorsese évite habilement la condescendance en louant « le talent considérable et le sens artistique » des créateurs de Marvel.

Rouleaux compresseurs

Mais il ne faut pas oublier les investissements considérables de mise en marché et de promotion de ces produits, et une omniprésence sur les écrans assurée par la position dominante des majors, ce qui assure une visibilité exceptionnelle. Très peu de films peuvent profiter de ces avantages. Les productions de l’écurie Marvel agissent comme de véritables rouleaux compresseurs. Ils deviennent l’un des signes les plus visibles d’un impérialisme culturel.

La forte standardisation de ce type de produits, qu’ils soient cinématographiques ou autres, est aussi une exclusion de tout ce qui s’en éloigne et qui se confine à des niches non rentables et mal publicisées.

Trop d’artistes talentueux sont victimes de ce système pour ne pas s’en alarmer.

Scorsese a été appuyé dans sa bataille par les cinéastes Francis Ford Coppola et Ken Loach, tous deux octogénaires. Étant donné que Scorsese lui-même n’est plus très jeune, certains y ont vu un problème de génération, une incapacité à suivre un nouveau mouvement. Peut-être que le fait qu’ils n’aient plus rien à prouver leur donne surtout la liberté de dire ce que les plus jeunes n’osent pas exprimer. Scorsese termine son texte en affirmant que le système actuel est inhospitalier pour l’art. Ce mode de production est particulièrement très dur pour la diversité, que l’on tient prisonnière dans de petites cases.

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