Le Québec connaît une croissance économique exceptionnelle, ce qui, dans un contexte d’équilibre budgétaire, mène au dégagement de surplus importants.

Jusqu’à maintenant, ceux-ci étaient automatiquement dirigés vers la réserve de stabilisation, mais celle-ci atteint aujourd’hui un niveau largement supérieur aux exigences d’une saine prudence. La tendance de plus en plus manifeste du gouvernement est d’augmenter les dépenses publiques, ainsi que nous l’a montré la récente mise à jour économique du ministre des Finances. Que faut-il en penser ?

D’abord, que les finances du Québec lui permettent de corriger des mesures du gouvernement précédent qui avaient été mal reçues (comme les changements fiscaux pour les frais de garde), de réaliser certains engagements électoraux (comme l’uniformisation progressive de la taxation scolaire) ou encore de mieux soutenir quelques priorités nouvelles (comme la francisation des immigrants ou les frais de stationnement des hôpitaux). Il se trouvera peu de gens pour en faire le reproche au gouvernement de la CAQ.

Le problème, c’est de trouver le bon rythme d’augmentation des dépenses après une période de rigueur budgétaire. On a vu dans le passé, tant à Québec qu’à Ottawa, qu’une reprise très rapide des dépenses pouvait compromettre le maintien d’un équilibre difficilement obtenu. La situation actuelle est propice à ce genre de retournement. En matière de dépenses, il y a un délicat dosage à préserver entre le ponctuel et le pérenne.

Il faut éviter de s’engager dans des mesures qui dépassent le rythme de croissance des revenus sous peine de se retrouver en situation de déficit structurel comme avant.

Les pressions qui s’exercent sur le gouvernement vont dans ce sens. On n’a qu’à penser aux demandes salariales que les différents syndicats du secteur public viennent de déposer. Espérons que les négociations permettront de trouver une zone de compromis raisonnable, car leur impact serait dévastateur sur les finances publiques. On pourrait facilement trouver d’autres secteurs de dépenses où les clientèles touchées cherchent à rattraper ce qu’elles estiment avoir injustement perdu. Bref, une vigilance de tous les instants, qui ne manquera pas de faire quelques mécontents, sera nécessaire pour contrôler l’évolution des dépenses publiques et la garder dans une zone correcte.

Prévisions de croissance

Ensuite, on doit se rappeler que la croissance économique actuelle ne peut être tenue pour acquise et que le gouvernement doit prendre ses décisions de court terme à la lumière des perspectives de moyen terme. Or quelles sont-elles, ces perspectives ? Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ne cessent de diminuer leurs prévisions de croissance alors que le commerce international ralentit. Les pays exportateurs seront particulièrement touchés par ce ralentissement. Certains sont déjà au bord de la récession. Or le Québec est une économie d’exportation et ne manquera pas d’en faire les frais si cette tendance perdure.

Par ailleurs, indépendamment de la conjoncture internationale, toutes les études économiques indiquent qu’en raison de la démographie québécoise, une hausse du PIB variant entre 1,4 % et 1,7 % constitue la situation la plus probable dans l’avenir. Substantiellement inférieure donc aux niveaux récents allant de 2,5 % à 3 %. Une augmentation notable de la productivité et du taux d’activité de la population pourrait seule mener à une conclusion différente, mais évitons de croire que de tels changements puissent se faire rapidement. La pensée magique n’est pas de mise en ces matières.

Certes, à court terme, les données économiques et financières sont bonnes, mais elles reposent sur des assises instables. On ne peut engager de nouvelles dépenses pérennes sur cette base. Par conséquent, à moins que le gouvernement n’accepte de retomber en déficits récurrents, il doit naviguer dans les eaux budgétaires avec circonspection.

Enfin, on imagine bien que la tentation sera forte, face à de nouvelles dépenses déstabilisatrices, d’utiliser la réserve de stabilisation pour combler certains engagements coûteux, un peu comme M. Leitão avait prévu de le faire dans son dernier budget. Faut-il rappeler que cette réserve n’est pas un fonds discrétionnaire que le gouvernement peut utiliser à sa guise ? Elle existe pour parer aux imprévus négatifs de la conjoncture économique et compenser les déséquilibres temporaires que cela crée dans les finances publiques.

Le niveau actuel de la réserve de stabilisation est en lui-même une source de tentation.

En effet, à environ 14 milliards de dollars, comment refuser d’y puiser lorsque le besoin s’en fait sentir ? La façon commode d’y remédier serait d’en affecter la moitié dans le Fonds des générations ou directement au remboursement de la dette. Cela créerait un espace pour le financement ponctuel de programmes d’infrastructures si la conjoncture l’exigeait et n’aggraverait pas la situation financière globale.

À ces éléments incitant à la prudence budgétaire, il faut ajouter que le panier de services publics québécois continue d’être plus large que celui des autres provinces, accaparant une portion plus grande de la richesse collective, et qu’il impose un lourd fardeau aux contribuables. La bonne fortune budgétaire du Québec n’est pas inscrite de manière durable dans le temps. Beaucoup d’efforts devront encore être consentis pour l’y maintenir. Sans jouer les Cassandre, il faudra entre autres résister aux sirènes d’une abondance trompeuse.

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