Félicitations, Andrew Scheer, vous gardez votre emploi ! Pour le moment…

Lors d’une réunion tenue à huis clos mercredi, le caucus conservateur a décidé de ne pas congédier son chef. Pour les députés, ce n’est pourtant pas une histoire d’amour, mais de peur, notamment de la base conservatrice. 

Un vote du caucus visant à expulser M. Scheer aurait enlevé aux membres leur propre droit de se prononcer sur la question – droit auquel certains tiennent férocement. Cette obsession pour les grassroots est un héritage de l’ancien Parti réformiste, où Preston Manning ne pouvait pratiquement pas changer de paire de lunettes sans leur approbation.

Alors, plutôt que de risquer une réaction négative de la part de leurs électeurs, les députés ont rejeté sur eux la responsabilité de faire le travail. Le parti tiendra son prochain congrès à Toronto en avril prochain, où le leadership du chef sera soumis au vote des membres. Contrairement au caucus, ces derniers n’ont aucun problème de loyauté et n’ont pas besoin de faire face à leur patron tous les jours à la Chambre des communes. Ils sont libres de s’agiter, notamment dans ce marécage toxique nommé Twitter, et continueront sans doute de le faire, en particulier s’ils trouvent des candidats derrière lesquels ils peuvent se regrouper.

Dans cet environnement, Andrew Scheer a deux choix : faire une marche dans la neige pendant la période des Fêtes et annoncer son départ au début de la nouvelle année, ou s’entêter et essayer de rester en poste. Et bien que sa famille aimerait sans doute demeurer à Stornoway, résidence du chef de l’opposition officielle, c’est la première option qui aurait plus de sens à long terme tant pour M. Scheer que pour le parti.

Le temps de se retirer

La première raison est évidente : pour sauver la face. C’est toujours mieux de partir volontiers que d’être congédié. M. Scheer devrait prendre en considération l’expérience de Thomas Mulcair, l’ex-politicien le plus amer du Canada. M. Mulcair a été éconduit à la suite d’un vote de confiance tenu lors du congrès du NPD de 2016 où il n’a pas réussi à obtenir le soutien de la moitié des délégués. Sa réaction tranchante sur la performance du NPD, au lendemain des élections de 2019, trahit un ego manifestement blessé qui aurait pu être épargné s’il avait seulement su partir quand c’était le temps.

La deuxième raison pour laquelle M. Scheer devrait s’en aller, c’est pour sauver le parti. La direction d’un parti représente toujours des jeux déplorables de pouvoir, mais la situation devient encore plus pénible quand on se fait montrer la porte.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer

Les blessures infligées à Joe Clark par Brian Mulroney en 1983 ont pris plus de 15 ans à se cicatriser, alors que différentes factions continuaient de se disputer les rôles de dirigeants dans les équipes de campagne et dans les ailes jeunesse.

En se retirant, M. Scheer épargnera au parti la sale besogne de démolition et pourra ainsi remonter au-dessus de la mêlée.

Au lieu de se retrouver en position de victime, il pourra assumer le rôle d’éminence grise ; au lieu d’avoir le tapis retiré de sous ses pieds, il sera toujours bienvenu aux événements futurs.

Mais la raison la plus convaincante est très simple : il ne peut pas gagner les prochaines élections. Point. Ce n’est pas une simple opinion, c’est une question de calcul. En 2019, M. Scheer a fait augmenter le vote conservateur là où il n’en avait pas besoin, et l’a fait diminuer là où il avait besoin de le voir augmenter. Selon une analyse de Philippe Fournier du magazine Maclean’s, depuis 2015, les conservateurs ont augmenté leur part de vote dans 194 des 338 circonscriptions et l’ont réduite dans les 144 restantes. De ces 144 circonscriptions, 139 se trouvent au Québec et en Ontario, et cinq dans le Lower Mainland en Colombie-Britannique. Les conservateurs ont perdu des voix dans presque toute la région du 450 ainsi que dans 47 des 55 circonscriptions de la grande région du 905 (Toronto).

Un gars des Prairies

Pourquoi ce résultat ? Pour reprendre les propos des conservateurs au sujet de Justin Trudeau, Andrew Scheer ne correspond pas à la façon dont il a été présenté aux électeurs (« Not as advertised »). Les conservateurs l’ont décrit comme un soccer dad, un gars d’origine modeste qui ne ferait jamais la une de Vogue. Somme toute, ce serait un banlieusard auquel les électeurs pourraient s’identifier.

Mais loin d’être un gars des banlieues, M. Scheer est un gars des Prairies. Il a grandi à Ottawa et a quitté l’Ontario pour la Saskatchewan sans jamais regarder en arrière. Il est catholique pratiquant, père de cinq enfants, pro-vie, et ne participera jamais au défilé de la fierté gaie. Les électeurs du Québec, qui viennent d’approuver une loi enchâssant la laïcité dans une partie du secteur public, lui ont déclaré un grand « non merci ». Les électeurs de la banlieue de Toronto, qui considèrent leur ville et leur province comme le centre de l’univers, ont dit la même chose. Et cela – comme M. Scheer lui-même – est peu susceptible de changer.

Comme tous les Canadiens, Andrew Scheer a droit à ses choix personnels. 

Mais la réalité est que tous les Canadiens ne peuvent pas devenir premier ministre, surtout lorsque leurs croyances et leurs valeurs les placent en contradiction directe avec les électeurs des régions les plus stratégiques du pays.

Cela n’arrivera tout simplement pas.

En bref, M. Scheer plaît aux mêmes groupes d’électeurs qui avaient adhéré à l’ancien Parti réformiste – les grassroots, encore ! – et ne réussit pas à plaire aux autres groupes d’électeurs. Le Parti réformiste n’a pratiquement pas réussi à progresser au-delà de la frontière entre le Manitoba et l’Ontario. Il n’a jamais eu d’attrait pour les Québécois ou pour les Canadiens de l’Atlantique, et ne s’est jamais établi dans les centres urbains.

Mais il a réussi à s’implanter au moment de sa fusion avec les progressistes-conservateurs. En fait, la plupart des observateurs s’accordent pour dire qu’il a pris le contrôle de la nouvelle entité en écartant les conservateurs plus progressistes.

Est-ce que le parti va continuer sur cette voie avec un chef à son image ? À vous, M. Scheer, de décider.

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