Depuis fin septembre, je suis stupéfaite par le nombre d’articles truffés d’hyperboles sur les difficultés scolaires des garçons.

En réalité, l’école ne broie pas les garçons, mais elle fait parfois broyer du noir. Je vois autant de filles en mal d’école que de garçons, tous de plus en plus anxieux. Ce qui change, c’est parfois leur façon de l’exprimer.

J’axe mon enseignement sur la lecture et sur la culture générale grâce à la venue paritaire d’auteurs et d’autrices de l’intelligentsia québécoise dans mes classes. Or, il s’avère que les garçons aiment moins la lecture que les filles.

Selon la CSQ, les garçons ne réussissent pas moins bien que les filles, ce sont plutôt les filles du Québec qui ont une performance scolaire très au-dessus de la moyenne internationale. Si l’amélioration de la réussite scolaire passe par la lecture, il ne faut pas choisir des lectures pour les garçons et d’autres pour les filles. Il convient de s’exprimer davantage sur le plan des modes de fonctionnement féminin et masculin plutôt que d’opposer les garçons et les filles.

Imaginer maintes façons d’enseigner la lecture restera une action vaine si nous ne déconstruisons pas les stéréotypes de sexe.

Bref, adapter l’école aux besoins et intérêts des garçons fait partie de solutions qui amenuisent les problèmes des filles et qui nuisent à l’égalité entre les sexes.

Plusieurs études démontrent aussi que réussir à l’école n’est pas forcément valorisant pour de nombreux garçons. La réussite scolaire serait entravée par une certaine identité masculine, un peu comme si un garçon est plus populaire quand il est frondeur en classe.

Trop féministe ?

Ma profession serait trop féministe ? Rousseau écrivait dans son traité d’éducation L’Émile : « Ainsi toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. » XVIIIe siècle, vraiment ?

Moult fillettes sont toujours encouragées à jouer à l’infirmière et à la maîtresse d’école. Avec un tel héritage socioculturel prédestiné, je m’étonne qu’il y ait encore des gens qui se demandent pourquoi il n’y a que 20 % des enseignants qui sont des hommes.

En fait, le sexe des enseignants n’influe en rien sur les résultats scolaires, selon une étude australienne. Seule la qualité de la relation entre l’élève et son prof et le milieu social d’origine influencera la réussite scolaire.

À l’université, les filles ont plus souvent des enseignants masculins et cela ne les empêche pas d’obtenir leur diplôme.

Ce constat m’amène aux classes non mixtes qui véhiculent tous les clichés sexistes. Une étude néerlandaise établit que les garçons profitent plus que les filles de la mixité de leurs classes. La présence des filles permet aux garçons de mieux travailler. Hélène Charron, chercheuse au Conseil du statut de la femme, dit que dans les milieux favorisés, il n’y a à peu près pas d’écarts entre les garçons et les filles et qu’il y a beaucoup plus d’écarts entre les milieux sociaux qu’entre les sexes en général.

Et si on parlait de notre salaire, le plus bas de tous les enseignants du Canada ? Chaque fois que nous réclamons une augmentation supérieure à l’inflation, le public et le gouvernement crient au loup. Serait-ce parce que nous sommes des femmes ?

Cependant, je pense que l’école adopte un jargon tyrannique de la norme : les élèves sont classés par moyenne, la collaboration est sans cesse remerciée, la culture collaborative est encouragée tout comme l’harmonisation des pratiques en véhiculant à toutes les sauces les pratiques probantes, comme si certaines ne relevaient pas des légendes pédagogiques.

Bref, si j’y vois une soumission à la normalité, je me dis que mes élèves doivent la voir aussi, car être comme tout le monde, ce n’est qu’une moyenne façon d’exister. Un des directeurs de Deloitte me confirme que leur système de recrutement et d’évaluation fondé sur le classement a été aboli et va plus loin en disant qu’un partner qui fait encore du micromanagement sera licencié sur-le-champ. Or, avec le projet de loi 40 sur la gouvernance scolaire, plusieurs analystes parlent beaucoup de microgestion, qu’Henry Mintzberg dénonce dans son dernier livre.

Il n’en demeure pas moins que cette pression liée aux discours de réussite à tout prix, au lieu de parler de l’importance de l’apprentissage des connaissances et de la culture générale afin de développer l’esprit critique, est problématique. Allons-nous vers une école de la réussite qui n’apprend pas pour apprendre ?

Présenter la discrimination salariale comme une justice réparatrice pour les garçons, je l’ai lu aussi avec consternation.

Il y a 29 % des filles qui décrochent ; pour elles, c’est la porte ouverte vers leur soumission financière à un conjoint, tandis que les jeunes hommes restent très favorisés sur le marché du travail. Ils peuvent aller chercher de gros salaires sans même parfois obtenir leur diplôme d’études secondaires dans la construction, les mines, les industries.

Selon Jacques Tondreau, le Québec est aux prises avec un discours masculiniste organisé, présent dans les médias de masse, qui retient l’attention de certains faiseurs d’opinion et de responsables dans les milieux scolaires.

Seules les idées universalistes sauveront l’école. Sans elles, « on retombe sur le cercle infernal de l’asservissement ou de la domination. Il faut donc redonner à l’universel toute sa force émancipatrice », a dit Francis Wolf.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion