Mathieu Laine invite à prendre conscience de la fragilité de la liberté dont nous bénéficions chaque jour, à identifier ce que le monde libre nous a apporté de bon afin de le faire évoluer en profondeur. 

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS PLON

Mathieu Laine

Au fil des siècles, le monde libre est devenu notre quotidien. Ce monde de paix et de prospérité qui a tant contribué à l’amélioration de nos vies, c’est le nôtre et nous n’y prêtons plus attention. Comme l’air que l’on respire, comme l’eau que l’on boit.

Le monde libre, c’est bien plus qu’une alliance historique d’États désireux, au cœur du XXe siècle, de s’unir pour mettre à bas les totalitarismes. C’est tout un univers de principes essentiels passés au tamis de l’histoire et structurant notre destinée. Ces valeurs, la liberté, la responsabilité, la propriété, la protection de la personne, la séparation des pouvoirs, la sécurité juridique, la démocratie, le pluralisme et la libre confrontation des idées contraires, ont fini par borner efficacement nos vies et sont devenues les piliers de notre développement. Elles sont les garantes autant que les moteurs de la société de confiance et d’innovation et sont tout entières dédiées au progrès des hommes. 

Désormais accusé de tous les maux, on tourne aujourd’hui le dos au monde libre. Nourris de ces émotions à jamais mauvaises conseillères que sont la colère, la peur et l’envie, nous lui préférons d’autres modèles. Partout en Occident, les extrêmes, autrefois cantonnés à des scores non menaçants pour les partis que l’on appelait alors « de gouvernement », se nourrissent comme jamais de ces élans de frustration, d’incompréhension et d’injustice. Le mouvement a pris par surprise le Royaume-Uni et les États-Unis avant de gagner, au gré des déclinaisons locales, tous les pays d’Europe. Ce faisant, nous faisons fausse route. 

Car nous agissons comme si l’on avait oublié tout ce que nous devons à notre civilisation. Nous nous cabrons et nous rebellons comme si l’on pouvait jouer à la roulette russe, nous amuser à nous faire peur, la démocratie libérale n’étant finalement qu’un modèle parmi d’autres et non, comme le disait Churchill, « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». 

En prenant du recul, en analysant les données disponibles, on perçoit pourtant notre chance immense de vivre dans un monde qui a su s’appuyer sur ces matrices. Nos valeurs essentielles ont réalisé des merveilles en nous offrant un monde où l’on vit en paix, mieux, plus longtemps, en meilleure santé, où l’on est davantage prospère, moins pauvre et plus en sécurité. […]

Les maux mal pansés du monde libre 

Bien sûr, notre civilisation a ses failles. Il faut les regarder en face. La souffrance ou le sentiment de stagnation et de régression de certains est réelle. Les défis demeurent nombreux. La rupture entre le centre et la périphérie, les frictions culturelles et identitaires, la peur des migrants sont, parmi d’autres, les rejetons d’une globalisation perçue comme malheureuse. […] 

Ces dernières décennies, nos valeurs essentielles ont été malmenées.

À force de faire grossir l’État et de le laisser régenter l’intégralité de nos existences, défiant et engourdissant nos capacités d’action et d’adaptation, notre rapport au risque et notre sens de la responsabilité personnelle ont fini par être étouffés.

Que l’on vive en Europe ou aux États-Unis, notre monde a battu tous les records en matière de dette publique, de dépense publique, de réglementation, de surveillance et de complexification de notre quotidien. En 2008, la crise de l’endettement privé a préparé la crise de l’endettement public. L’aléa moral s’est imposé en nationalisant les pertes et en privatisant les gains. […]

L’illusion des modèles alternatifs 

Le paradis sur Terre n’existe pas. L’histoire a cent fois montré que ceux qui promettent ce type de rêves livrent, chaque fois, des cauchemars. Leurs propositions paraissent hélas infiniment plus séduisantes que cet imparfait de l’instant défendu par l’alliance des rationnels, des raisonnables et des modérés fussent-ils réformateurs. Les vociférations catastrophistes et accusatrices font plus de bruit, les livres déclinistes ont plus d’impact et les mensonges grimés en vérité entrent plus aisément en résonance. Les idées ainsi colportées circulent plus vite sur les réseaux sociaux que les raisonnements robustes, apaisés, modestes, positifs et sincères de ceux qui maintiennent qu’il n’est d’alternative au perfectionnement du monde libre. 

Né sur les rives de la Grèce antique, le monde libre n’a jamais cessé de mûrir et de s’améliorer. Il a affronté tant de tempêtes qu’il se relèvera, sans doute, de nos cris, de nos passions. Mais au prix de quels égarements, de combien de victimes, que l’on pourrait, aujourd’hui encore, éviter ? Parce que la vie se choisit, parce que le destin individuel et collectif se plie bien plus qu’on ne le perçoit à nos choix, il est encore temps, malgré l’accélération de la centrifugeuse semblant nous précipiter, avec un déni fascinant, dans ce repli de nos valeurs dont nous ne voulons ni pour nos enfants ni pour nous-mêmes, d’ouvrir les yeux, de nous réveiller et de mesurer les risques que nous prenons en reniant des pans entiers de notre maison commune. 

Ce livre, écrit à la lumière de tous ceux qui, avec Raymond Aron, Albert Camus, George Orwell, Jean-François Revel, Simon Leys, Stefan Zweig et, aujourd’hui, Mario Vargas Llosa et Kamel Daoud, ont vu juste quand tant d’autres se fourvoyaient vient rappeler ce qui fonde notre civilisation et tout ce que nous lui devons. Nous, ces citoyens assoupis ou aigris que nous sommes souvent devenus. […]

Avant nous, de grandes conquêtes ont été accomplies. Les pires tyrannies ont été balayées. Les esprits les plus aiguisés se sont mobilisés. Les textes les plus beaux, les plus inspirés, sont tous liés par ce fil invisible ayant sanctifié les valeurs fondatrices de ce monde. Les plus grands artistes les ont, depuis Homère, chantés en les opposant aux désastres de la guerre et des conflits entre les hommes. Le progrès, puisant au meilleur de la tradition humaine, a fait son œuvre. Une œuvre inachevée, certes, avec ses faiblesses et ses ratés, mais une œuvre tout de même. Presque un rêve que notre génération pourrait, à force de s’en détourner, briser. 

Ni culpabiliser ni minimiser 

L’idée ici n’est ni de culpabiliser ni de minimiser les failles réelles de ce monde et leurs répercussions sur le quotidien d’une partie toujours trop importante de la population occidentale. Nous n’entendons pas davantage rejoindre la cohorte de ceux qui, pensant bien faire, se vautrent dans une morgue moralisatrice et attisent de leurs doctes leçons un feu qu’ils croyaient contenir. L’heure est trop grave pour se méprendre. L’ambition consiste d’abord et avant tout, simplement, humblement, avec une infinie gratitude pour ce qui nous a été légué, à saisir l’immensité de notre héritage autant que l’épaisseur tragique de nos renoncements. 

Préférant la raison au complot, le débat à l’invective, la transmission à la soumission, la confrontation des idées au coup de force, nous en appelons au réveil des consciences afin que la haine nourrie d’insatisfactions mette un genou à terre devant la réflexion et la réconciliation autour de nos valeurs fondatrices.

Il est clé, dans un temps en quête de références, d’idoles, de pères et de repères, de soupeser ce que nous devons au monde libre avant de chercher à l’améliorer. 

Dans le sombre-obscur d’une période qui se cherche, la démagogie, le simplisme, le relativisme, le complotisme, le dégagisme et l’extrémisme vivent de trop belles heures et menacent l’essentiel. L’œil s’habitue à l’insoutenable. La violence redevient familière. Le surmoi part en lambeaux. La lassitude et le déni achèvent un temps que Michel Houellebecq compare, avec d’autres, à une parenthèse de trois cents ans qui se refermerait sous nos yeux. 

Refuser la chute fatale 

Nous refusons ce fatalisme. Nous croyons en la capacité de l’homme à se lever et à faire le juste choix. Parce que nous finissons par ne plus croire en nos valeurs, parce qu’il nous arrive de nous sentir trahis par elles comme par ceux qui les invoquent autant qu’ils les trahissent, il est urgent d’y revenir et d’ausculter, avec pédagogie et rigueur, ce que nous sommes, ce qui nous a faits et ce que nous devenons. 

D’où venons-nous ? Qu’avons-nous accompli ? Qu’avons-nous manqué ? Où allons-nous ? Comment y échapper ? Comment éviter le pire ? Comment faire mieux ? Autant de questions essentielles nécessitant de prendre du recul. 

L’histoire, les chemins de la pensée, la connaissance à travers le temps et l’espace nous aident à nous défaire de nos biais, de nos regards égocentrés, et à nous interroger sur ce qui fonde notre monde, ce qui l’a abîmé, ce qui nous permettrait, encore, de le réparer et d’espérer. 

Quelles sont donc les racines du monde libre ? Quels en sont les piliers, les succès et les failles ? Quelles sont ces matrices aux potentialités prodigieuses et par nous délaissées ? La liberté est-elle vraiment ce mal se prenant pour son remède, ou la meilleure réponse à nos fuites et à nos renoncements ? Quelles sont, face aux défis de l’instant, les mutations profondes qui s’imposent à notre monde pour préserver son sel, sa flamme, sa puissance enveloppante et protectrice, et éviter de sombrer dans la nuit ? Si nous pouvons écrire ces lignes aujourd’hui, c’est parce que d’autres avant nous ont prononcé ces mots : « Plus jamais ça ! » C’est sous leur regard qui oblige que nous nous devons de penser l’époque, pour dire ensemble, avant que la lumière ne s’éteigne : il faut sauver le monde libre.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS PLON

Il faut sauver le monde libre, Mathieu Laine, Éditions Plon, 2019, 311 pages.

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