Pour bien savoir où l’on va dans la vie, il importe toujours de savoir qui on est et d’où l’on vient. Ce n’est pas différent en politique.

Ainsi, avant de prévoir ce qui se passera à Ottawa dans les prochains mois, voire les prochaines années, il faut faire le bilan de la campagne, analyser comment chacun des partis se campera dorénavant, cerner la question de la balance du pouvoir et, finalement, se demander quand surviendront les prochaines élections.

Le bilan

Il faut éviter de faire le bilan de ces élections en se basant sur les tout derniers sondages, car ce serait oublier où se trouvaient les partis lors du déclenchement des élections.

Ainsi, les libéraux et les conservateurs étaient à égalité en termes de pourcentage d’appui. Les résultats nous démontrent que les conservateurs ont très légèrement devancé les libéraux à la ligne d’arrivée, mais conclure que le PCC a perdu serait évidemment une erreur.

Les libéraux ont obtenu plus de sièges que prévu et ont gagné ces élections. S’ils ont mieux fait que prévu en Ontario, ils ont perdu des sièges dans les Maritimes, au Québec, en Colombie-Britannique, au Manitoba et, surtout, ils ont été rayés de la carte en Alberta et en Saskatchewan. Ajoutons qu’ils ont aussi perdu un peu plus d’un million de votes. Ils ont moins bien fait au Québec qu’on ne le prévoyait en début de campagne, mais ils ont obtenu plus de votes et de sièges qu’escompté en fin de campagne.

PHOTO DAVE CHAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Justin Trudeau s’est rendu à pied, hier à Ottawa, sur les lieux de sa première conférence de presse depuis le scrutin de lundi.

Les conservateurs ont certes terminé premiers quant aux suffrages et ont augmenté leur nombre de sièges, mais la concentration de leurs votes les a empêchés de terminer premiers.

Les conservateurs ont mené une très mauvaise campagne et sont les grands perdants de ces élections.

Les néo-démocrates ont perdu 5 % du vote populaire et 15 sièges. L’image de leur chef est beaucoup mieux ressortie qu’on ne le prévoyait en début de campagne, mais un flou demeure quant à savoir où ils logent sur plusieurs enjeux. Ajoutons qu’ils sont presque disparus de la carte au Québec.

Le Bloc a obtenu de bien meilleurs résultats que prévu en début de campagne, mais moins élevés que certains analystes ne le prévoyaient en fin de campagne. Je n’étais pas de ceux-là et je prévoyais 35 députés. Le Bloc, dont plusieurs annonçaient la mort il n’y a que quelques mois, ressort donc gagnant de ces élections au Québec et mêlera les cartes au Canada.

Terminons en disant que les verts ont lamentablement échoué et que Maxime Bernier est le seul à ne pas savoir que son parti n’existe plus.

Que pourront-ils dire ?

Justin Trudeau peut affirmer qu’il a gagné, mais il doit réaliser qu’il ressort affaibli de ces élections et qu’il dirigera un pays très divisé. À moins d’imprévus, il restera en poste. Il devra cesser de se réfugier dans des formules creuses et avoir enfin de la substance.

Andrew Scheer va prétendre qu’il représente une véritable solution de rechange aux libéraux ; il devra se rendre compte qu’il a échoué lamentablement et que ses jours sont comptés comme chef des conservateurs.

Jagmeet Singh affirmera être la voix des progressistes, mais au-delà des bonnes intentions et des belles images, il devra faire preuve de cohérence et répondre sans détour aux questions ! Il a trop tergiversé sur beaucoup trop de sujets tout au long de la campagne.

Yves-François Blanchet dira clairement être porteur des consensus de l’Assemblée nationale et pourra le prouver sur beaucoup d’enjeux, se distinguant ainsi de ses adversaires. Son défi sera de maintenir le cap en s’affichant comme chef d’un parti souverainiste tout en collaborant pleinement avec le gouvernement du Québec quand celui-ci revendiquera des demandes qui font consensus au Québec.

Précisons que le chef du Bloc a, avec justesse, revendiqué que les gains du Bloc étaient des gains pour un parti souverainiste, mais qu’il ne pouvait affirmer que la souveraineté avait progressé durant cette campagne, car cette dernière n’a porté ni sur la souveraineté ni sur le fédéralisme.

Elizabeth May affirmera que son parti a triplé son nombre de députés, passant d’un à trois, et que l’environnement fut au centre de la campagne, mais elle devra réaliser que les verts n’ont pas répondu aux attentes. Madame May a échoué et doit constater qu’elle n’est plus en mesure de diriger ce parti.

Maxime Bernier nous dira qu’il a relevé tout un défi en créant un nouveau parti et qu’il continuera à l’implanter un peu partout au Canada, mais dans les faits, il n’aura fait que passer…

La balance du pouvoir

Personne ne peut affirmer avoir la balance du pouvoir, puisque tout le monde l’a !

En effet, les libéraux auront l’appui d’un parti ou de l’autre selon les enjeux qui seront débattus.

Ainsi, si Justin Trudeau décide d’investir plus d’argent dans l’oléoduc Trans Mountain, il sera appuyé par les conservateurs, et s’il maintient la taxe carbone, le NPD et le Bloc l’appuieront.

Trudeau sera dans la même position qu’était Harper entre 2008 et 2011. Cela a duré trois ans et cela pourrait bien durer trois ans cette fois-ci également, d’autant plus qu’il y aura fort probablement une course à la direction chez les conservateurs.

Ajoutons qu’aucun parti ne souhaitera déclencher des élections dans un avenir rapproché.

Le gouvernement libéral devra donc apprendre à collaborer avec les autres partis en ayant cependant une carte majeure dans ses mains : celle du choix des enjeux lui permettant ainsi de jouir de l’appui d’un parti ou de l’autre.

* Chef du Bloc québécois de 1997 à 2011, Gilles Duceppe a été député fédéral pendant 21 ans.

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