Monsieur le Premier Ministre, durant les dernières semaines, vos activités et vos discours ont largement été analysés sous l’angle du jeu politique. Les visites dans les circonscriptions qui vous étaient acquises montraient, disait-on, l’inquiétude de votre organisation pour l’issue du scrutin. Vos sourires, votre optimisme. Vos silences, vos secrets. Vos colères, votre passion.

Mais la politique n’est pas qu’un jeu. Le gouvernement que vous vous apprêtez à former aura un impact majeur sur l’avenir de notre pays. J’aurais aimé qu’on s’attarde davantage sur votre vision de cet avenir, les piliers qui la sous-tendent et les initiatives que vous lancerez en conséquence. Voilà donc une occasion ratée de réfléchir, ensemble, à qui nous sommes et qui nous serons.

Si je peux me permettre un conseil, c’est celui d’enlever les clés du pouvoir des mains de vos faiseurs d’image. Une image vaut mille mots, mais les mille mots ne valent rien si ce qui est exprimé n’a pas de profondeur.

Par profondeur, je fais référence à l’union entre la vision, c’est-à-dire les idéaux qui nous rassemblent puis nous servent de guide, et la cohérence dans l’action. Quiconque l’a pratiqué sait à quel point l’exercice du pouvoir comporte son lot de compromis et de paradoxes. Mais, par exemple, faire la promotion de l’environnement et, simultanément, de l’augmentation de la capacité d’exportation du pétrole des sables bitumineux ne passe pas le test. Point final.

Cette question particulière de l’environnement est difficile, puisque nous voulons être de bons citoyens de la planète sans toutefois mettre à terre l’économie d’une région entière du pays. Et si nous étions un peu moins attentifs aux intérêts régionaux et commencions à réfléchir à ce que l’on répondra à nos enfants lorsqu’ils nous demanderont, dans 30 ans, pourquoi, alors que la science était probante, nous avons refusé les sacrifices qui s’imposaient ?

Une cohérence, donc, entre la vision et l’action. Et parlant d’action, il serait plus que temps de revoir le fonctionnement de l’État fédéral pour qu’il redevienne un acteur agile et efficace.

Comme plusieurs, j’ai assisté avec stupéfaction aux difficultés surréalistes liées à la paie de vos employés. Je comprends que vous avez hérité d’un système Phénix dysfonctionnel. Mais que vous n’ayez pas été en mesure de corriger le problème en quatre ans au pouvoir jette un doute sérieux sur la capacité générale du gouvernement du Canada à être un partenaire pertinent de notre développement.

Il faut impérativement corriger la situation si on souhaite attaquer de front les défis les plus pressants, qu’il s’agisse de l’environnement, de l’adaptation de notre société aux nouvelles technologies, ou encore de l’aboutissement de la réconciliation avec les peuples autochtones.

Le gouvernement fédéral s’est révélé, par le passé, l’allié des grands projets structuraux. Plutôt que de vouloir vous substituer aux gouvernements provinciaux et, notamment, à leur gestion des affaires sociales, pourquoi ne pas renouer avec cette ambition et vous faire le promoteur de projets qui nous rassemblent et nous inspirent ?

Votre gouvernement pourrait ainsi lancer des projets qui, ancrés dans différentes communautés du pays, nous amèneraient vers l’avant.

À Montréal, par exemple, vous pourriez vouloir attaquer la requalification des berges du Saint-Laurent entre le Vieux-Port, territoire sous votre contrôle qui tourne en rond depuis trop longtemps, et le pont Samuel-De Champlain. Alors que l’autoroute Bonaventure est à refaire, la reculer permettrait de redonner la berge aux citoyens qui rêvent d’un meilleur lien avec le fleuve Saint-Laurent depuis des décennies. Ce mégaprojet, ambitieux et pourtant à portée de main, deviendrait votre legs pour le 400e anniversaire de la première ville francophone des Amériques.

Autre considération : par pitié, ne relançons pas les disputes entre votre gouvernement et le gouvernement national des Québécois.

Il est plus que temps que votre parti renoue avec l’esprit du Parti libéral de Lester B. Pearson. En plus d’avoir été l’instigateur des Casques bleus, le premier ministre, d’origine ontarienne, n’a vu aucun problème à imaginer le développer conjoint de la nation québécoise et du Canada. Cela, vous vous en souviendrez, dans un contexte de gouvernement minoritaire.

Je termine en vous souhaitant beaucoup de succès. On a amplement ri d’un autre de vos prédécesseurs, Jean Chrétien, lorsqu’il avait déclaré que le Canada était le « plus meilleur pays du monde ». La phrase à la syntaxe déficiente est pourtant juste. Il est difficile d’imaginer un pays ou une époque où il fait mieux vivre. Mais rien n’est éternel, et consolider puis bonifier cela demande un travail acharné. Je vous souhaite donc du succès puisque, ultimement, ce succès sera le nôtre.

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