En 1960, sous John Diefenbaker, un ardent défenseur des droits civiques, les Indiens du Canada ont obtenu le droit de vote. Il faudra attendre 1969 pour que ce même droit leur soit octroyé au provincial, ce qui fait du Québec la dernière province à l’avoir fait.

Petite mise au point avant de continuer. Encore aujourd’hui, quand on parle des Premières Nations en termes juridiques, on doit se résoudre à utiliser çà et là le mot « Indien ». C’est le cas notamment lorsqu’on parle de la Loi sur les Indiens. Je peux vous assurer que ce n’est pas sans un goût amer en bouche que j’utiliserai ce mot ici.

Est-ce que les Premières Nations pouvaient tout de même voter avant ces dates ? Certainement. Par contre, le prix à payer se voulait très onéreux. En effet, la solution était tout simplement de s’émanciper, une autre des nombreuses tentatives d’assimilation du gouvernement fédéral.

La notion d’émancipation, sous la Loi sur les Indiens de 1876, se décrit par la perte du statut d’Indien. Rappelons que cette loi, encore en vigueur aujourd’hui, rassemble en une seule entité l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette province et l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages. Sous cet angle, juste avec le titre desdits Actes, les objectifs et le contexte de la Loi sur les Indiens ne peuvent être plus clairs.

C’est l’article 112 de la Loi sur les Indiens qui, jusqu’en 1951, année où il a été éliminé, faisait en sorte que tout membre d’une Première Nation perdait automatiquement son statut d’Indien lorsqu’il recevait un diplôme universitaire, devenait curé, obtenait un titre professionnel de médecin ou d’avocat ou devenait soldat.

L’agent des Affaires indiennes pouvait aussi émanciper tout Indien qu’il jugeait avoir obtenu un degré de civilisation suffisant.

Les femmes autochtones ont également goûté à cette médecine liée à l’émancipation forcée. En effet, jusqu’en 1985, une femme autochtone qui épousait un non-Autochtone perdait automatiquement son statut d’Indienne puisque le droit des femmes concernant leur statut découlait entièrement du statut de leur mari.

S’émanciper, c’était devenir citoyen canadien à part entière en accédant à un degré de civilisation supérieur aux yeux du gouvernement. En devenant émancipé, l’Indien devait conséquemment s’exiler de sa communauté. En fait, le seul avantage, s’il en est un, de s’émanciper était sans doute de pouvoir voter. Notez bien le « s’il en est un ».

Aux dernières élections fédérales, 61,5 % des membres des Premières Nations se sont prévalus de leur droit de vote, une augmentation de 14 % par rapport aux élections de 2011. Pas besoin d’analyses poussées pour comprendre que ce vote en était un de contestation après la décennie aride du gouvernement Harper à notre égard.

Cependant, dans une communauté comme celle de Kahnawake, ce ne sont que 6 % des membres vivant sur la communauté qui sont allés voter.

Pourquoi ? Parce qu’ils se considèrent eux-mêmes comme une nation. Conséquemment, aller voter pour un autre État que le leur a bien peu de sens.

À vrai dire, chaque fois que des élections se tiennent, les Autochtones sont aux prises avec ce qu’on pourrait qualifier de dilemme électoral. Comment, sans avoir l’impression de venir cautionner l’État colonial, exercer son droit de vote ? Et puis, nous écoute-t-on ? Qui nous représente ?

PHOTO JIMMY JEONG, LA PRESSE CANADIENNE

L’ex-ministre Jody Wilson-Raybould se réjouit de son élection comme députée indépendante dans Vancouver Granville.

À cette dernière question, pour les élections de lundi, ce sont plus de 60 candidats autochtones qui ont présenté leur candidature à travers le Canada. Au Québec, ils étaient deux : Xavier Watso, un Abénaki d’Odanak pour le Parti Rhinocéros dans Dorval–Lachine–LaSalle, et, dans la circonscription d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, Jacline Rouleau, sous la bannière du Nouveau Parti démocratique (NPD). Aucun d’eux n’a été élu.

Le Canada a cependant fait élire 10 députés autochtones à travers le pays, dont quatre femmes. On note le gain de Jody Wilson-Raybould comme indépendante dans Vancouver Granville et de la jeune néo-démocrate Mumilaaq Qaqqaq, 25 ans seulement, au Nunavut.

Pendant longtemps, les adultes et les aînés de ma communauté n’allaient pas voter même s’ils en avaient le droit. Aller voter, c’était devenir canadien, le spectre de l’émancipation toujours bien présent. Aller voter, c’était cautionner le colonialisme, s’inscrire en son intérieur. Aller voter, ça ne changerait rien pour les Autochtones de toute façon, plus de 150 ans de confédération nous donnant raison.

Les prochaines années sauront nous le dire, mais quelque chose s’est passé lundi. Même sous la lorgnette la plus sombre, c’est le moins pire des pires scénarios qui s’est dessiné pour les Autochtones. Un gouvernement libéral minoritaire obligera Justin Trudeau et son équipe à créer des alliances. Or, le NPD s’est montré très sensible aux enjeux autochtones. Et c’est justement cette sensibilité qui manquait aux libéraux. La vraie, je veux dire. J’ai aussi entendu un chef du Bloc québécois tendre la main aux Premières Nations et aux Inuit du Québec dans une confiance mutuelle à construire. Une affirmation sentie.

Les alliances entre les peuples ont permis à ce pays de naître, voyons voir si les résultats de lundi lui permettront de renaître.

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