J’ai filmé le coq de ma mère pendant ses parades pour attirer les poulettes et depuis, chaque fois que je visionne les images, je réalise à quel point le racolage nuptial des mâles gallinacés est, à certains égards, très comparable à ce qui se passe pendant une campagne électorale.

J’ai vu le coq chanter en plein jour pour enterrer le chant du coq voisin et courir après son compétiteur pour le plumer. Je l’ai observé esquisser des pas de danse pour impressionner la galerie femelle. Mais, plus surprenant encore, je l’ai vu mentir juste pour éviter que les poules ne s’éloignent de lui et tombent sous les ergots de son compétiteur.

Comment ? Vous savez, les poules qui vivent à l’extérieur grattent parfois la terre pour se sustenter de ce qu’elles y trouvent, dont des grains, des insectes ou des larves. Alors, voyant les poulettes s’éloigner, le coq grattait vigoureusement la terre avant de lancer des cris du chasseur qui vient d’abattre un mammouth. Une façon de dire aux poulettes de revenir se sustenter de sa généreuse et délicieuse trouvaille. Évidemment, vaincues par la promesse de boustifaille, les poules se rejoignaient aussitôt auprès du mâle avant de découvrir que tout ça n’était que tromperie.

Le biologiste en moi regardait la scène en se disant : « Quand est-ce qu’elles vont finir par réaliser que c’est une fausse promesse que leur fait le coq ? Sont-elles assez dupes, comme certains électeurs, pour se faire manipuler ainsi jour après jour ? »

Mais la chose n’est pas aussi simple. Entre le coq et les poules qu’il manipule et mystifie, il y a probablement un certain équilibre entre les fausses promesses de repas du mâle qui les déçoivent et ses véritables trouvailles qui leur font du bien. 

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

« Les mensonges du coq alternent parfois avec de véritables découvertes alimentaires à partager », écrit Boucar Diouf.

Autrement dit, les mensonges du coq alternent parfois avec de véritables découvertes alimentaires à partager. Cet espoir de grosse régale entretenu par les poules permet au système de durer, un peu comme on vote encore pour un politicien en se disant qu’il nous a menti pour quatre promesses majeures, mais qu’il en a quand même réalisées deux qui ont changé un peu notre vie.

Il y a chez les oiseaux un modèle qui raconte un peu mieux ce phénomène que cette observation non scientifique sur le coq de ma mère. Le meilleur modèle du juste équilibre nécessaire entre mensonge et vérité pour maintenir une relation de confiance entre politiciens et électeurs est celui du drongo brillant. Le drongo est un oiseau des régions désertiques et semi-désertiques d’Afrique qui se tient souvent proche des suricates. Vous savez, ces petits mammifères appelés les sentinelles du désert et qui sont représentés chez Disney par Timon, le partenaire de Pumbaa dans Le Roi lion. Les suricates sont des mammifères sociaux qui vivent en famille élargie dans de vastes terriers. Lorsqu’ils quittent leur maison pour chasser en groupe, il arrive qu’ils soient les cibles de prédateurs, dont les chacals et les gros oiseaux de proie. C’est là qu’entre en scène le drongo (Dicrurus adsimilis), qui s’est spécialisé dans les signaux d’avertissements destinés aux suricates.

Un biologiste britannique nommé Tom Flower a mis en lumière la méthode de travail du drongo. Perché sur un promontoire, le drongo surveille pendant que la colonie de suricates creuse, fouille et déterre insectes, chenilles et autres bestioles pour s’alimenter. Lorsque l’oiseau voit s’approcher un prédateur, il lance un cri d’alarme aux suricates et tout le monde s’empresse de retourner dans le terrier. 

Bien à l’abri, les suricates apaisent collectivement leur frousse en remerciant l’ami ailé pour sa gentillesse salvatrice. Mais, lorsque du haut de son promontoire, la sentinelle à plume voit un suricate déterrer une chenille dodue qui ferait bien son bonheur, le drongo n’hésite pas à lancer une fausse alarme pour épouvanter le découvreur et s’emparer de la trouvaille une fois le chasseur au large.

Si les suricates ne semblent pas faire tout un plat avec les ruses du drongo, c’est parce que l’oiseau et ses associés ont trouvé un équilibre juste entre son discours mensonger et ses promesses réalisées. S’il y avait plus de faux signaux que de vrais, l’association se serait probablement effritée au cours de l’évolution. Ce délicat équilibre entre mensonge et vérité qui unit le drongo aux suricates porte en biologie le nom de relation fréquence-dépendance. C’est peut-être aussi la même qui unit le coq aux poules qu’il mystifie parfois.

Le même modèle peut facilement s’appliquer aux campagnes électorales. Ici aussi, tout est une question d’équilibre entre promesses utopiques et propositions réalistes quand vient le temps de séduire la population. Le drongo utilise la peur à sa faveur, un peu comme nos politiciens aussi passent toute la campagne à instrumentaliser la peur de l’autre, la peur de Harper, la peur du déficit, la peur de la souveraineté et bien d’autres pour arriver à leur fin. 

Mais, à la différence du couple drongo-suricates, nombreux sont aujourd’hui les suricates-votants que nous sommes à être indifférents aux épouvantails que sortent les politiciens pour rabattre les électeurs dans leur filet.

Les oiseaux ont peut-être bien des choses à nous enseigner sur la politique. Il m’arrive même de penser que les campagnes électorales sont aux humains ce que les parades nuptiales sont au peuple à plume. Pour cause, chez les oiseaux en parade, le succès est aussi indissociable de l’image et les couleurs bleue, blanche, rouge, orange et verte sont aussi populaires dans les plumages nuptiaux que sur les pancartes électorales. 

L’image bien soignée, il ne reste plus au mâle qu’à chanter la pomme et à gazouiller très fort pour enterrer les refrains du concurrent. Chez beaucoup d’espèces, les mâles consacreront une partie de leur temps de parade à se mettre en valeur et l’autre partie à détruire ce que ses concurrents sont en train de bâtir. Bref, à dire aux femelles de s’éloigner le plus loin des concurrents, dont la génétique est moins souhaitable pour leur descendance.

Les parades nuptiales et les rendez-vous électoraux sont des hauts lieux de séduction. Malheureusement, il n’y a pas de séduction sans fausses représentations, et ça, nos parents à plume et les participants d’Occupation double sont là pour nous le démontrer.

Mais, même si tous les coups sont permis entre mâles pendant les parades nuptiales aviaires, il y a un fait qui reste constant d’une année à l’autre. Après l’accouplement, chez la plupart des espèces, certains mâles retrouvent rapidement leurs couleurs et leur comportement bien ternes et laissent derrière eux les femelles, qui doivent alors pondre et s’occuper des œufs et des oisillons. Elles ne se feront convoiter qu’à la saison de reproduction suivante avec les mêmes promesses, les mêmes images et les mêmes tromperies, et quelques vérités pour faire durer le système.

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