La loi sur la laïcité est-elle raciste ? Cette question met les Québécois en colère, et surtout ceux qui fréquentent les réseaux sociaux.

Mon compte Twitter déborde de commentaires depuis que j’ai soulevé le fait qu’aucun des chefs lors du premier débat télévisé n’avait osé affirmer ce qui me semblait être une évidence : cette loi ne discrimine pas seulement sur une base religieuse, elle discrimine aussi sur une base ethnique. L’image même de Jagmeet Singh, chef du NPD, incarne cette double discrimination : corrigez-moi si je me trompe, mais je n’ai pas encore vu de masses de sikhs à la peau blanche !

La réalité est que la majorité des personnes touchées par la loi proviennent de minorités visibles. Je comprends que ce n’est pas l’intention de la loi d’être raciste, mais son effet est proportionnellement plus grand au sein de ces groupes. Il s’agit du concept de « racisme systémique » qui touche les institutions telles que le système judiciaire, où l’on retrouve un nombre disproportionné de minorités visibles, mais aussi d’autochtones. Les lois sont les mêmes pour tout le monde, mais dans leur application, elles ont un impact plus grand sur certains groupes.

Au Canada anglais et en particulier à Toronto, on parle beaucoup de racisme systémique. On fait des enquêtes. Des recommandations. On fait des manifs. On parle moins de religion, et quand on le fait, c’est généralement en lien avec le discours sur le racisme, pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut. La laïcité tout court, ce n’est pas une préoccupation.

Au Québec, c’est littéralement une autre histoire. Parce que le Québec porte un bagage historique distinct relatif à la religion, à cause de la dominance qu’a exercée l’Église catholique pendant des siècles. Mais même au Québec, on ne peut plus traiter de la question de la religion de façon isolée. À Montréal, des audiences sur le racisme ont révélé qu’un immigrant sur cinq subit de la discrimination. Cette semaine, le président de la Commission des droits de la personne, Philippe-André Tessier, a demandé une politique nationale contre le racisme.

Le racisme touche la vie des nouveaux arrivants et maintenant, la Loi sur la laïcité de l’État ajoute une autre couche de discrimination pour plusieurs d’entre eux.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

« Le respect, la tolérance et la capacité de vivre ensemble ont fait du Canada un pays unique au monde », explique Tasha Kheiriddin.

Zainab, une femme dans la quarantaine que j’ai rencontrée lors d’un trajet Montréal-Toronto en avion, fait partie de ce groupe. D’origine égyptienne, elle est arrivée au Québec il y a huit ans avec son mari qui terminait ses études à l’Université de Sherbrooke. Mais Zainab avait aussi des ambitions. Elle ne parlait pas français à son arrivée ; elle s’est hâtée de suivre des cours intensifs pendant un an. Par la suite, elle est retournée aux études en immunologie. Le couple a eu un beau garçon âgé maintenant de 6 ans – un petit Québécois qui adore Caillou et parle français à la maison.

Zainab rêve de devenir enseignante. Un rêve qui ne se réalisera malheureusement pas au Québec si elle n’enlève pas son hidjab. Je lui ai demandé si elle l’enlèverait. Pas question, m’a-t-elle répondu. « Ça fait partie de mon identité, ça fait partie de moi. C’est comme parler français pour les Québécois. » Zainab est moins fâchée que déçue. Je lui ai demandé alors si elle déménagerait si on lui offrait un poste ailleurs. Elle a hésité. Son mari a un bon boulot ici, mais… bon. « Si ça valait la peine, oui. »

Voilà une femme qui est le portrait de l’immigrante type : elle a tout fait pour s’adapter et pour que ses enfants s’intègrent. Les contribuables québécois, de leur côté, ont investi dans son éducation et dans son intégration. Elle paie maintenant des impôts comme eux et contribue à sa communauté. Tout cela sera perdu si elle quitte le Québec.

Mais Zainab me dit que ce n’est pas seulement la loi sur la laïcité qui influence la venue d’immigrants au Québec : les nouvelles exigences en matière de français aussi.

Zainab est venue au Québec sans compétence linguistique ; aujourd’hui, ça ne serait plus possible. Résultat : le nombre d’immigrants baisse, notamment en région, et selon elle, on en voit déjà les effets. « À Sherbrooke, les commerçants ne trouvent pas d’employés pour les postes de cuisiniers ou de commis, des emplois dans le domaine des services. » Elle me dit que le Tim Hortons de son coin a fermé ses portes faute de main-d’œuvre. « Ce sont les immigrants qui prennent ces jobs, et maintenant il n’y en a pas assez. »

Bien sûr, le Québec a le droit d’adopter ses propres lois. Mais ces lois ont des conséquences, telles que l’exode de personnes et de capitaux. Elles font aussi en sorte que moins d’immigrants feront du Québec leur demeure. Elles engendrent également les critiques d’autres provinces et de Canadiens qui les considèrent différemment.

Mais ces critiques vont dans les deux sens. Le Québec critique les choix de certaines provinces, comme l’Alberta pour le soutien de son industrie pétrolière, ou l’Ontario pour avoir mis un terme à son projet d’université francophone. Dans une fédération, tout le monde ne sera pas toujours d’accord.

Mais peu importe. Dans le cadre des présentes élections, la réaction du Canada anglais s’est transformée en véritable manne pour les souverainistes, et plus particulièrement pour Yves-François Blanchet et le Bloc québécois.

Parce qu’attiser les flammes de la souveraineté est leur meilleur espoir de voler quelques sièges au NPD et aux conservateurs – tout comme le fait d’affronter l’ultime Capitaine Canada, un autre premier ministre Trudeau ! Ce qui explique sans doute la réticence de tous les chefs, à l’exception de Trudeau, à contester la loi sur la laïcité, si celle-ci devait être renvoyée devant la Cour suprême. Encore ici, le calcul politique prime le principe.

Mais ces leaders sont des chefs nationaux et ils ont l’obligation de se prononcer, aussi impopulaire cela soit-il. Le respect, la tolérance et la capacité de vivre ensemble ont fait du Canada un pays unique au monde. Ils doivent aux Canadiens de faire valoir leurs arguments. Ils le doivent aux Québécois. Et surtout, ils le doivent à Zainab.

Rectificatif:
Une version antérieure du texte indiquait que le président de la Commission des droits de la personne, Philippe-André Tessier, avait lancé une demande d’enquête sur le profilage racial de la police de Montréal. C’est inexact. M. Tessier a plutôt demandé une politique nationale contre le racisme.

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