Les militants ont parfois une façon colorée de nommer les choses. Colorée et trop souvent puisée dans l’univers anglophone, disons-le. Cette novlangue déroute régulièrement ceux qui sont confrontés à ces expressions pour la première fois, donnant l’impression qu’en inventant de nouveaux mots, on s’invente aussi de nouveaux maux. On peut pourtant tirer de ce vocabulaire une compréhension enrichie de phénomènes de société qui restaient jusqu’ici sans noms.

Dans mon essai On peut plus rien dire, j’essaie de démystifier — et traduire — quelques-uns de ces concepts. « Mansplaining », le fait pour un homme d’expliquer avec arrogance à une femme une chose qu’elle connaît mieux que lui ; l’acronyme TERF, qui décrit les féministes radicales qui excluent de leur mouvement les femmes trans, ou encore le terme « safe space », qui désigne un endroit où les activistes peuvent discuter d’oppressions vécues sans crainte de représailles. La campagne électorale nous fournit plusieurs occasions de bonifier notre lexique.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Par exemple, vous avez peut-être été étonnés de voir un tweet du Bloc québécois être accusé de racisme. « […] Optez pour des femmes et des hommes qui vous ressemblent, qui partagent vos valeurs, qui portent vos préoccupations et qui travaillent pour vos intérêts, pour les intérêts des Québécois. Seulement des Québécois… », disait le micro-message. Plusieurs trouvent l’accusation exagérée. Après tout, le Bloc n’est pas en train de dire que les Noirs sont inférieurs ou quoi que ce soit du genre.

L’expression « dog whistle politics » peut toutefois nous éclairer quant aux différentes interprétations possibles de ce message. L’Office québécois de la langue française propose le terme dilogie pour décrire ce « procédé rhétorique selon lequel un propos est interprété de manière anodine […] par la majorité des individus, mais dont le contenu est structuré afin d’être interprété de manière particulière par une frange ciblée de la population ». Le sifflet de chien est utile pour illustrer le phénomène, puisqu’il produit un son inaudible pour l’oreille humaine, mais très perceptible pour l’ouïe canine.

Généralement, cette tactique est utilisée pour envoyer un message qui ne serait pas acceptable politiquement, mais qui sera très bien compris par les personnes auxquelles il s’adresse. 

Par exemple, le slogan « Make America Great Again » ne disait pas précisément en quoi les États-Unis étaient « mieux avant », mais pour nombre d’électeurs, il s’agissait de la promesse de rendre le pouvoir à l’homme chrétien blanc, après les huit années de règne d’Obama.

Dans le cas du Bloc, ce qui est soupçonné, c’est qu’en invitant les électeurs à voter pour « des femmes et des hommes qui vous ressemblent », et qui travailleront « dans l’intérêt des Québécois, seulement des Québécois », on envoie ce genre de message codé qui, tout en restant dans les paramètres de la rectitude politique, peut être perçu autrement par ceux qui ont, disons, une vision plus étroite de ce qu’est un Québécois qui leur ressemble.

Évidemment, l’habileté de la dilogie réside dans le fait qu’elle évite, justement, la partie inacceptable du message. Elle est donc difficile à dénoncer. Jusqu’à preuve du contraire, on peut difficilement faire autrement que de présumer de la bonne foi du Bloc québécois. Toutefois, comme le blackface, le procédé est plus difficile à justifier lorsqu’il est récurrent. Or, pour ceux qui se souviennent de la publicité bloquiste de 2015 dans laquelle une goutte de pétrole se transformait en niqab, le sifflet passe de travers.

Après, on peut nier qu’il s’agisse d’un message codé, mais attention de ne pas tomber dans le « gaslighting », que l’on pourrait traduire par « détournement cognitif ». Cette expression tirée de la pièce de théâtre Gas Light illustre le fait pour une personne de nier une réalité ou de mentir jusqu’à conduire son interlocuteur à croire qu’il a perdu la tête. Un peu comme lorsque Trump affirme qu’il est la personne la moins raciste sur terre. Convenons que c’est désarçonnant.

Les autres chefs ne sont pas en reste, côté vocabulaire. On pourrait qualifier de « virtue signalling » la participation de Justin Trudeau à la marche pour le climat, faisant ironiquement pression sur lui-même. J’aime la traduction « progressisme ostentatoire » pour illustrer cette attitude qui relève plus du marketing que de l’engagement réel. Quant au fait que quatre hommes aient débattu mercredi soir dernier du droit des femmes à disposer de leur corps, on pourrait bien sûr recourir au fameux « mansplaining ». Ou encore, on pourrait dire des chefs néo-démocrate, libéral et bloquiste qu’ils ont agi en « chevaliers blancs », terme servant à désigner de manière sarcastique la magnanimité des hommes qui se portent à la défense des femmes, comme au temps des chevaliers. D’ailleurs, le Moyen-Âge avait aussi son expression pour désigner ce genre de messieurs : les « champions des dames ». Comme dans « Bravo ! Champions ! D’avoir défendu nos corps contre cette menace moyenâgeuse ».

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