Pour les Québécois de ma génération qui ont encore en tête ces images de millions de Chinois tous habillés pareils, défilant comme des robots chantant en chœur les louanges de Mao Tsé-toung, le fait que la Chine soit en passe de devenir la première puissance de la planète a quelque chose d’incroyable et d’un peu effrayant.

Développement sans démocratie

Comment une dictature aussi totale, un pays aussi arriéré, qui fête cette semaine ses 70 ans de régime communiste, a-t-il pu décoller à ce point en si peu de temps ?

Car le démarrage chinois ne remonte qu’à 30 ans. Il a pris sa vitesse de croisière à l’époque de la répression du mouvement démocratique de 1989 sur la place Tiananmen.

De façon révélatrice, la majorité des Chinois n’ont jamais entendu parler de l’affaire ; ils n’ont pas idée de ce qu’a représenté pour les Occidentaux la photo iconique de ce jeune Chinois debout devant un char d’assaut qu’il semblait arrêter par son seul courage.

PHOTO GREG BAKER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des ballons ont volé dans le ciel à la fin d’une parade militaire sur la place Tiananmen à Pékin, lundi, pour le 70e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine.

Le fait que la répression du mouvement démocratique a correspondu au décollage économique du pays a mis à mal l’idée que le développement était indissociable de la liberté associée à la démocratie libérale, cette dernière constituant l’avenir de l’humanité, y compris la Chine.

C’est à Singapour, dans les années 80, que les Occidentaux se sont fait dire pour la première fois par le premier ministre Lee Kuan Yew qu’ils pouvaient remballer leurs belles valeurs démocratiques. On sait maintenant qu’un pays peut se développer économiquement sans être une démocratie.

Retour à la normale

La montée en puissance de la Chine constitue un retour à la normale pour une nation qui a été la plus développée et la mieux gouvernée de la planète pendant des millénaires, le tout suivi de 300 ans de décadence.

Les mauvais souvenirs de l’exploitation du pays durant cette période par les puissances occidentales et le Japon sont encore là, alors que la Chine apparaît réfractaire non seulement à la démocratie mais également à l’expression de toute dissidence ou différence identitaire.

Que l’on pense au traitement infâme des Tibétains et des Ouïghours. Que l’on pense à Hong Kong…

Je me souviens encore d’un jeune intellectuel de Singapour qui m’avait presque convaincu, lors d’un séjour dans cette ville-État il y a longtemps, que la démocratie était fondamentalement incompatible avec la mentalité chinoise.

« Les Occidentaux essaient de faire la synthèse entre différents points de vue venant de la base en élisant leurs gouvernements et en prenant en compte l’opinion publique. En Chine, on s’attend au contraire à ce que l’impulsion vienne d’en haut. Dans la mesure où cette impulsion sera rationnelle, les forces vives du pays se coordonneront ensuite pour la faire passer de façon harmonieuse et efficace dans la réalité. »

La Chine profite actuellement du pouvoir fort légué par les communistes, tout en ayant renoué avec une vieille méritocratie permettant de choisir des dirigeants « sages et vertueux ».

PHOTO ANTHONY WALLACE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les manifestants pro-démocratie ont marché en grand nombre à Hong Kong, lundi, à l’occasion du 70e anniversaire du régime communiste.

Hong Kong

Le pays sera-t-il en mesure de poursuivre sa progression à tous les niveaux, tout en continuant à ne manifester aucun intérêt pour la liberté d’expression et l’individualisme ?

Une demande pour davantage de démocratie émergera-t-elle contre toute attente au sein de la société chinoise, avec un risque de répression par un gouvernement craignant des débordements et des fractionnements analogues à ceux que le pays a souvent connus au cours de son histoire ?

C’est ici qu’il faut parler de Hong Kong, cette authentique verrue sur les festivités chinoises de cette semaine.

Quelle ironie que la greffe démocratique à l’occidentale ait pris à ce point racine dans cette ex-colonie britannique arrachée à la Chine dans les années 1840 !

Surtout que cela se fit dans des conditions proprement odieuses, après cette « guerre de l’opium » menée à l’Empire chinois pour le punir de ne pas consentir au commerce d’une drogue avilissant sa population.

On peut penser que, par rapport à une Chine toute-puissante qui peut l’écraser demain comme un moucheron, Hong Kong n’est rien ou presque, une mégalopole parmi les dizaines d’autres que compte le pays.

Pour l’heure, c’est à tout le moins la vitrine où une Chine qui s’affirme pour la première fois en dehors de sa zone d’influence historique montrera son vrai visage au reste du monde.

Cela dit, l’histoire de l’humanité a été marquée depuis toujours par des conquêtes et des inter-fécondations de toutes sortes ; on ne peut donc totalement exclure la possibilité que Hong Kong se révèle le ver dans le fruit chinois.

L’avenir dira si ce qui se passe actuellement là-bas n’est qu’un épiphénomène sans conséquence à terme ou si, au contraire, c’est le signe que, n’en déplaise à mon intellectuel singapourien et à Lee Kuan Yew, la démocratie est moins incompatible avec la culture chinoise qu’il ne semble.

On peut toujours rêver.

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