10 h du matin, journée pédagogique. Ils sont tous à l’heure, silencieux, cannes en main, candides, mais se demandant néanmoins s’ils n’auraient pas mieux fait de rester au lit.

Ils auraient pu faire comme leurs amis et profiter de cette matinée pour dormir, « gamer » ou pourquoi pas refaire le monde comme Greta… Mais non, ils ont choisi de s’inscrire au club de pêche de leur école et c’est ce matin qu’on lance nos lignes à l’eau pour la première fois.

Sur la banquette arrière de ma voiture qui les mènera à la rivière, mon équipage est silencieux. Ils sont d’origine maghrébine, asiatique, ou de Terrebonne, ont entre 11 et 16 ans et visiblement, la question du blackface de Justin ne sera pas notre sujet de prédilection aujourd’hui.

Je ne les connais pas, et eux ne se connaissent pas davantage.

Ils sont 20 élèves parmi les 1200 de notre école, et parfois à leur insu, leurs parents les ont inscrits à quatre sorties de pêche parascolaires cette année.

C’est un groupe très hétérogène, à l’image de notre école publique de banlieue. Cinq membres sont arrivés sans canne à pêche, la moitié n’ont jamais mis une ligne à l’eau, ça promet pour les dorés de 10 livres tant espérés…

Un beau prétexte 

Nous avons à peine quitté l’école que déjà s’installe cet agréable sentiment qu’aucun pêcheur ne peut ouvertement admettre, mais qui est implicite à la pratique de ce loisir : le poisson, on s’en fout, et ce rassemblement n’est évidemment rien d’autre qu’un prétexte au papotage. En outre, ce qui se met à l’œuvre dans ce club de pêche est beaucoup plus riche qu’une simple activité sportive.

C’est donc un groupe très bigarré qui débarque ce matin sur les berges de la rivière L’Assomption.

Avec un attirail de coffres à pêche, de puises, de sandwichs au jambon, d’iPhone et d’espoir d’un brochet géant, l’armada est imposante et fait tourner les têtes.

Pendant que les profs s’affairent à faire des nœuds Palomar et à changer les bobines de fil, les ados sourient déjà à grandes dents.

Et voilà ! Nous touchons déjà la finalité de cette expédition : des profs et des élèves qui passent du bon temps ensemble, à parler de perchaudes et d’achigans plutôt que d’algèbre et d’histoires d’autres temps. Pour les cinq prochaines heures, ils seront les colonisateurs de cette plage, des électrons libres loin de leurs parents et de leur quotidien, à partager un coin de plage avec d’autres élèves qu’ils appellent déjà des « amies » plutôt que « la fille dans le fond du cours de maths ».

Vingt ados donc, qui offriront tout un spectacle aux profs accompagnateurs, éblouis devant cette belle jeunesse qu’on ne vante pas assez souvent. C’est qu’ils sont beaux ces jeunes, avec leurs torts et leurs travers générationnels (étions-nous différents ?), mais animés d’une incroyable énergie qui devrait nous guider davantage. En braquant mon appareil photo sur la plage, j’observe le spectacle : méchante belle journée, méchante belle jeunesse.

Et le poisson dans tout ça, vous me demandez ?

L’histoire ne l’a pas retenu.

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