Le mensonge et la tromperie, ces parties pas flatteuses de notre humanité, sont cités par certains scientifiques comme étant des facteurs importants du développement de nos capacités cognitives exceptionnelles. Autrement dit, c’est en essayant de déjouer les ruses, mises en scène et mystifications des uns et des autres que nous avons gagné progressivement en clairvoyance. 

L’anthropologue et psychologue évolutionniste britannique Robin Dunbar a émis l’hypothèse selon laquelle le langage serait aux humains ce que l’épouillage est aux singes. Il raconte qu’au cours de l’évolution, les humains ont privilégié la parole à l’épouillage, car la taille de leurs groupes sociaux était devenue trop importante et leurs interactions, bien trop complexes. Autrement dit, toutes nos petites conversations sans intérêt incluant les mensonges, médisances, dénigrements et autres mémérages sont des façons de renforcer des liens, de nouer des alliances et de pactiser à l’abri du regard des autres. Le lèche-bottes est aux humains ce que l’épouilleur de mâle alpha est aux chimpanzés.

Pas surprenant alors que ce mode de communication soit bien ancré dans les jeux de pouvoir des animaux politiques que nous sommes. N’en déplaise aux intégristes de la pureté, on continue, pour le meilleur et pour le pire, de s’épouiller grâce à la tromperie qui semble inscrite dans nos gènes. Par exemple, si laid soit le poupon, qui oserait dire à un nouveau papa : « Votre bébé est la preuve que le bon Dieu devrait parfois s’inspirer de l’industrie automobile et faire des rappels pour défaut de fabrication ! » Personne ne ferait une critique aussi blessante. Alors, on fait comme tout le monde et on raconte aux parents qu’il est beau. Même s’il est blond aux yeux bleus, on dira à Boucar qu’il est son portrait tout craché pour flatter un peu sa fierté.

Qu’ils soient altruistes, infantiles, officieux, hostiles, pernicieux ou de plaisanterie, le mensonge et la tromperie sont enracinés dans le monde animal bien au-delà du bipède qui parle. Il faut lire La politique du chimpanzé du primatologue américano-néerlandais Frans de Waal pour comprendre à quel point les jeux de pouvoir ne sont pas qu’humains. Lorsque vient le temps de challenger le mâle dominant et d’entrer en campagne électorale, les chimpanzés ne sont pas bien loin de nous pour ce qui est des tromperies et des manigances. Les alliances qui se font et se défont, la convoitise du support ou du « vote » des femelles, les mâles qui deviennent très délicats et vont jusqu’à prendre les bébés dans leurs bras et les chatouiller en gardant un œil non pas sur la caméra, mais sur les femelles sont autant de comportements pour nous tendre un miroir. Presque toutes les stratégies de racolage et de mystification électorale des politiciens (sauf le flippage de hamburger dans les festivals) semblent avoir leur équivalence chez nos cousins poilus.

PHOTO GETTY IMAGES

« Il faut lire La politique du chimpanzé du primatologue américano-néerlandais Frans de Waal pour comprendre à quel point les jeux de pouvoir ne sont pas qu’humains », suggère Boucar Diouf.

D’ailleurs, le même auteur a comparé savoureusement la façon de faire de la politique des chimpanzés et les manœuvres d’intimidation et autres stratégies simiennes utilisées par Trump pour anéantir ses adversaires.

Si le sujet vous plaît, je vous recommande l’autre bouquin de Frans de Waals, intitulé La dernière étreinte. Après la lecture des pages 217 à 227, vous ne verrez plus le président américain sans penser au pouvoir éclairant de la primatologie sur les comportements des singes bipèdes que nous sommes.

Oui, je sais que Donald n’est pas le seul politicien à travestir la vérité et que bien d’autres prétendants au trône sur cette planète excellent dans l’art de surfer sur le mince fil séparant le vrai du faux. Vous savez, cette position funambulesque dont l’oreille interne s’appelle les sondages.

Le problème avec Donald, c’est que le mensonge pathologique semble être un mode de vie. Sinon, comment expliquer qu’en moins de quatre ans de règne, il affiche déjà plus de 10 000 déclarations partiellement ou totalement fausses, selon les estimations de l’équipe Fact Checker du Washington Post. Il a même réussi l’exploit de brouiller les frontières entre le mensonge et la vérité en inaugurant l’ère des faits alternatifs.

Au début de son règne, l’entendre mentir me dérangeait énormément. Aujourd’hui, chaque fois qu’il raconte des faussetés, je me dis simplement qu’il ne me parle pas. Qu’il dégaine des mensonges comme il place du pognon à la banque pour le faire fructifier et récolter des intérêts auprès d’un électorat qui a besoin de l’entendre pour rêver. Grâce à ses incroyables capacités alchimiques de transformer le mensonge le plus patent en vérité absolue, il m’arrive parfois de me demander si Trump n’est pas une sorte de génie maléfique dont il ne faut jamais sous-estimer les capacités machiavéliques.

D’ailleurs, je me demande si toute cette histoire avec le président ukrainien qui met en cause Joe Biden et son fils était aussi une occasion pour le roi des menteurs d’influencer le choix de son adversaire aux prochaines élections. Les démocrates entament une procédure de destitution du président, mais les bruits sur le passé interventionniste du vieux Joe en politique ukrainienne continuent de faire jaser et risquent de remonter à la surface et peut-être de le mettre sur la touche. Or, si Biden est écarté de la course, il laisserait peut-être le champ libre à Elizabeth Warren. Ce jeudi, on a même appris que la très gauchiste Elizabeth a dépassé de deux points l’ancien vice-président dans les intentions de vote au niveau national.

Advenant ce changement de garde, Donald pourra encore compter sur la « prime aux burnes » qui récompense plus les testicules que les ovaires dans une Amérique encore phallocrate qui ne jure que par des pères fondateurs.

Le mythomane en chef pourra aussi déterrer généreusement la phobie américaine du socialisme comme épouvantail. De toute façon, il a déjà commencé à définir Elizabeth Warren comme une communiste radicale dont les idées de gauche mèneront l’Amérique à sa perte. Une fois cette diabolisation qui risque de faire mouche auprès du pouvoir financier bien ancrée, il ne lui restera alors plus qu’à sortir sa fameuse sagesse pour prendre de l’altitude : « Un mensonge répété mille fois finit par devenir vérité. »

Avec la banalisation de la culture du mensonge et de la tromperie qui est devenue une source intarissable de cynisme, on peut, sans se tromper, dire que notre démocratie creuse toujours plus profond sa tombe. Un peu moins d’image et plus de vérité feraient tellement de bien pendant les campagnes électorales ! Surtout quand vient le temps de parler d’un sujet aussi important que l’avenir de notre planète.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion