Depuis quelques mois, les exemples d’échecs de protection du patrimoine québécois se suivent et se ressemblent. On n’a qu’à penser à la maison Boileau à Chambly, à la maison Charbonneau à Laval ou encore à celle de Saint-Cuthbert.

Trois mille bâtiments anciens seraient démolis chaque année au Québec, certains étant de véritables bijoux patrimoniaux. On dirait une parade d’automutilation permanente qui n’arrive pas à se nommer, comme si la société n’arrivait à se conforter que devant le présent rassurant des habitations du XXIe siècle.

À Québec, la ville a récemment autorisé la destruction de la maison Pasquier. Elle n’a l’air de rien, cette maison de plus de 300 ans. Elle est pourtant une des plus vieilles au Canada. Toute la semaine dernière, on en a parlé dans l’actualité, la ministre de la Culture refusant de la considérer pour ce qu’elle est vraiment en fin de compte.

Je connais bien la maison Pasquier, située aux abords du rang Saint-Jacques, comme on l’appelait il n’y a pas si longtemps. En me rendant à l’école, je la voyais chaque matin. Quelque 300 mètres plus loin, on trouvait une magnifique école de rang, l’école numéro 2.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, LE SOLEIL

La maison Pasquier

Démolie elle aussi il y a une douzaine d’années pour faire place à un projet immobilier, cette école surplombait de façon magistrale un cours d’eau qui sillonnait, en parfaite harmonie, un paysage enchanteur. Ce qui se voulait le plus marquant, c’était le dégradé de couleurs qui courait le long de ce rang. Je n’y connais rien en herbes hautes, mais celles qui se trouvaient là avaient quelque chose hors de l’ordinaire, des sortes de bambous dans des tons de bourgogne se mêlant aux herbes grasses et à des fleurs dont les yeux jaunes regardaient le ciel. On l’oublie, mais ces paysages de nos vies font aussi partie du patrimoine commun.

Ce rang, on l’a laissé se transformer en boulevard. Le ruisseau a été comblé. La vieille école a fait place à des maisons modernes. Il y avait pourtant là quelque chose de bien plus grand, que même la fillette de 10 ans que j’étais pouvait très bien percevoir.

Dans mes souvenirs trônent également la grotte à Marie, cet endroit où les croyants s’arrêtaient parfois pour prier. Quelques maisons appartenant à une autre époque nous aident à situer la nôtre. La maison Pasquier, qui avait conservé ses formes du XVIIe siècle, était l’une d’elles. Les autres existent-elles encore ?

En moins d’un kilomètre sur ce chemin, on avait un cours d’histoire qui imprégnait de façon sensible notre rétine. Tout était là : la religion, la foi, l’éducation, l’agriculture, l’architecture, les paysages, la tranquillité, la volonté d’être au monde. Un parcours tout droit sorti des Filles de Caleb, si on veut, mais en beaucoup mieux, bien réel.

Ces patrimoines historique, architectural, ethnologique et naturel, est-il besoin de signaler qu’on peine à s’en occuper ? À l’heure où vous lisez ces lignes, on n’est pas loin d’entendre la machinerie lourde s’avancer pour détruire la maison Pasquier.

Avons-nous tant de maisons de l’époque de la Nouvelle-France pour nous offrir le luxe d’en laisser détruire ainsi ?

La Loi sur le patrimoine culturel québécois fait défaut. On laisse aux municipalités la lourde charge de protéger des biens collectifs, mais sans leur donner les instruments pour le faire. Si la capitale nationale elle-même se retrouve à accorder un permis de démolition pour une rare maison du XVIIe siècle, que peut-on imaginer qui risque de se passer dans les municipalités plus petites ?

Pour justifier la destruction de la maison Pasquier, on dit qu’elle n’est pas digne d’un musée, qu’elle a été modifiée. Certes, les époques se mélangent au premier regard de cette maison, les lattes qui recouvrent la maison témoignant davantage des années 70 que de 1698, année de sa construction. Les fenêtres ont été également changées et la rambarde de la galerie en fer forgé des années 60 se mélange à un aveuglement de l’importance du passé.

La maison a été habitée par huit générations de la même famille, les Paquette (Pasquier) qui ont un jour fait installer du chauffage et des toilettes. Faut-il que tout soit lisse comme dans un musée pour qu’on daigne apprécier cette habitation, preuve concrète à elle seule de l’incroyable enracinement de gens simples, accrochés à la destinée de l’Amérique grâce à une vie de labeur ?

Dans ce dossier, la ministre de la Culture, Nathalie Roy, renvoie la balle à la Ville dans un tournoi de ping-pong qui se soldera vraisemblablement par une partie où le public risque de tout perdre. Pour le Ministère, le bâtiment n’a qu’une valeur locale. Comme si sous ce voile du local, on refusait de considérer que le national y prend racine.

Si on avait commencé par sauvegarder l’école de rang, le ruisseau et le paysage comme le voyage dans le temps qu’ils étaient, peut-être aurait-on un espace d’intérêt assez national au goût du Ministère.

Connaître son passé, non seulement dans les livres d’histoire, mais de façon sensible, humaine et charnelle se veut un privilège.

Le Québec a-t-il tant de témoins du passé qu’il peut ainsi choisir d’en écarter en montrant du doigt celui qu’on peut détruire, le menton relevé comme une riche fille gâtée qui désignerait les robes dont elle ne veut plus ?

Les Québécois ont la chance d’avoir le privilège d’un réel patrimoine. D’autres nations méritent tout autant de considération, mais n’ont pas cette possibilité. Le gouvernement devrait montrer davantage de sensibilité et d’ardeur à défendre le bon sens et à réviser une loi qui ne remplit pas son rôle.

Croyez-moi, il serait grand temps de réaliser le gâchis dans lequel le Québec s’embarque.

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