En réponse au texte de Christian Dufour, « L’oubli du pouvoir québécois », publié hier

Encore une fois hier, l’ex-fonctionnaire et universitaire Christian Dufour a prétendu dans La Presse que le pouvoir québécois (entendu le pouvoir des francophones, sinon des Canadiens français) serait grandement miné et affaibli par le remplacement du vieux mode de scrutin britannique au profit d’un mode de scrutin de type proportionnel, dont les paramètres de base ont fait l’objet, depuis 2016, d’une entente transpartisane appuyée par six des sept partis qui ont participé l’an dernier à la compétition électorale.

Les arguments du collaborateur de La Presse sont les mêmes depuis plus de 20 ans et se résument à deux affirmations gratuites et indémontrables : une réécriture dramatisée de notre histoire sous l’angle de ce qui aurait pu arriver si le changement proposé avait été en vigueur alors, et une projection catastrophiste de l’avenir avec une proportionnelle en prenant pour assises les pires modèles étrangers, Israël et l’Italie.

Évidemment, le monsieur ne dit pas que ses exemples sont spectaculaires, mais outranciers, car ils n’ont jamais inspiré qui que ce soit chez nous.

Ce qui est proposé n’est pas une proportionnelle pure ouverte à tous les radicalismes possibles, aux pires alliances et à des élections à répétition, mais plutôt un système mixte régional et modéré dans lequel tous les députés seraient élus par les citoyens qui connaîtraient à l’avance l’identité des candidats.

Ignorant volontairement qu’avec le système électoral actuel en vigueur depuis 1792, le Québec français s’est très souvent vu mal représenté et surtout mal défendu et, que, à cause de cela, il en a passablement arraché, M. Dufour passe aussi sous silence une vérité fondamentale : on ne peut pas refaire le passé, surtout uniquement en pire, sauf pour faire délibérément peur. 

Une culture politique différente

Ce qui est certain toutefois, c’est que l’Assemblée nationale aurait été plus représentative de la volonté populaire et que chaque vote aurait vraiment compté, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Et cela aurait généré inévitablement une culture politique différente et des comportements électoraux également différents. Meilleurs ou pires ? Qui sait ?

Pour Christian Dufour, le fait que des partis puissent dans l’avenir discuter et trouver des compromis pour former des gouvernements qui seraient soutenus par une majorité de députés représentant une majorité de la population est une aberration.

Il préfère la domination sans partage d’un seul parti et d’une seule personne même si ceux-ci n’ont même pas recueilli 40 % de l’appui populaire. Tout cela sous le prétexte que c’est seulement alors que l’État québécois est fort devant le Canada anglais et le pouvoir fédéral.

Or, cette force est une illusion, car depuis très longtemps, les gouvernements faussement majoritaires que nous avons eus (puisque portés au pouvoir par une minorité de l’électorat) ont toujours dû demander l’appui des autres partis par des motions unanimes pour établir un rapport de force solide.

Presque chaque fois que cela a été nécessaire, le Québec a parlé d’une seule voix. Pourquoi cela serait-il différent dans l’avenir avec un Parlement et un gouvernement plus représentatifs ?

Le Québec dirigé demain par des gouvernements constitués et appuyés par plusieurs partis qui représenteraient une bonne majorité de la population aurait plus de chances de développer une véritable cohésion nationale indispensable pour relever avec force les grandes menaces qui pointent à l’horizon, dont celles concernant sa spécificité culturelle et linguistique.

Il est faux de laisser croire qu’un seul parti a le monopole de la prise en compte de l’avenir du Québec français. Il faut changer la dynamique actuelle et en arriver le plus vite possible à une solidarité nationale transpartisane active sur l’essentiel. C’est ainsi que la majorité francophone qui compose encore près de 80 % de la population sera plus forte, moins menacée.

L’intérêt supérieur du Québec exige en fait de la classe politique beaucoup moins d’autoritarisme et beaucoup plus d’échanges loyaux et d’ententes larges et rassembleuses.

Incidemment, c’est ce qui existe dans les sociétés qui servent de modèles pour la réforme envisagée : l’Écosse, la Nouvelle-Zélande et la Bavière, notamment. 

Bien sûr, tout n’y est pas parfait et la compétition idéologique est aussi vigoureuse qu’ici. Mais la culture parlementaire y est plus collaborative, moins acrimonieuse, selon les témoignages présentés aux députés de notre Assemblée nationale le printemps dernier. Les gouvernements sont stables et solides. L’alternance au pouvoir n’est pas une fiction, contrairement à ce que dit le sieur Dufour.

Enfin, la nature distincte du Québec étant si importante pour Dufour et Cie, pourquoi ne pas se distinguer vraiment avec un mode de scrutin distinct plus démocratique, plus conforme à l’espoir que portent tant de gens ? Sur le plan démocratique, nous serions la société la plus exemplaire des Amériques. Rien, sur le plan constitutionnel, ne nous empêche de le faire. René Lévesque le savait bien. Voilà pourquoi il aurait tant voulu que l’on fasse au moins ce pas en avant.

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