Nos élus à Québec seront bientôt saisis d’un projet de loi visant à transformer notre mode de scrutin.

Même si nous parlons du scrutin proportionnel depuis 40 ans et bien que tous les partis y aient souscrit à un moment ou un autre, nous ne pouvons faire l’économie d’évaluer ses effets dans le contexte actuel de polarisation.

Certes, la proportionnelle assure une meilleure représentation des diverses opinions des citoyens dans l’exercice du pouvoir législatif. Mais cela implique inévitablement la présence de gouvernements minoritaires et une transformation de l’exercice du pouvoir exécutif.

Dans un contexte de polarisation, notre démocratie et notre société seront-elles mieux servies avec la proportionnelle ?

Clivage

On pourrait citer plusieurs commentaires relatifs au phénomène de polarisation dans nos sociétés démocratiques. Je retiens les propos de Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po à Paris dans son analyse des résultats de la récente élection européenne : « Les gens ne veulent plus des partis classiques et de leurs discours un peu flous. Que ce soit les populistes ou les verts, ils ont voulu voter pour des partis avec un discours complètement clair, sans nuance ni ambiguïté. »

Les positions sans nuance sont plus faciles à communiquer. Aussi en prétendant militer pour le « vrai » qui est blanc ou noir, mais jamais gris, on se présente comme l’alternative à l’establishment et à sa langue de bois. Mais cette posture de simplification, qui nie les nuances, éloigne les acteurs politiques d’une compréhension commune des problématiques. Elle restreint l’espace de convergence et accentue la difficulté de s’entendre, à la condition que les partis souhaitent vraiment s’entendre.

Dans un contexte de polarisation, rechercher le consensus devient un aveu de faiblesse ; une dilution inadmissible de ses positions ; une démission devant ses convictions. À titre d’exemple, pour n’en citer qu’un, Maxime Bernier déclarait en décembre dernier au journal Le Soleil : « Pas de nuances, pas de compromis ni de consensus. Seulement des convictions. »

Les partisans du scrutin proportionnel invoquent que la gouverne minoritaire fera naître une culture de cohabitation. Dans un contexte de polarisation, on peut en douter.

Évidemment, une plus juste représentation des sièges est un objectif plus que louable. Par contre, pour obtenir la confiance de la Chambre et éviter un retour rapide en élections, les formations politiques devront se livrer à une négociation entre divers éléments de leur programme.

Dans un contexte de polarisation, on ne peut ignorer que cela risque d’engendrer un marchandage postélectoral susceptible de déplaire aux électeurs qui concluront assez tôt : « On n’a pas voté pour cela. » Conclure que la proportionnelle sert la démocratie me semble un peu court.

Notre société y gagne-t-elle quelque chose ?

Tous les gouvernements qui se sont succédé, issus du centre droit ou du centre gauche, étaient animés par la recherche d’une société plus prospère et plus juste. Ils ont chacun favorisé la croissance économique pour engendrer les ressources financières nécessaires à la mise en place de mesures sociales. Au-delà des subventions et des crédits d’impôt, c’est d’abord en cherchant à préserver un environnement d’affaires stable et prévisible qu’ils ont réussi à maintenir notre attractivité économique par rapport aux juridictions voisines.

Malgré les changements de gouvernement, l’alternance entre partis centristes offre une stabilité propice à l’investissement. Par ailleurs, sans avoir quotidiennement à négocier leur survie, les gouvernements majoritaires bénéficient de suffisamment de temps pour réaliser l’essentiel de leurs engagements électoraux. En résumé, notre système actuel permet d’assurer la stabilité et la prévisibilité essentielles au progrès.

Avec des élections proportionnelles, les actions du gouvernement minoritaire seront ballottées au gré du marchandage entre des partis éloignés idéologiquement. Adieu stabilité. Adieu prévisibilité.

Notre démocratie et notre société seront-elles mieux servies avec la proportionnelle ? Il y a 20 ou 40 ans, la réponse à cette question aurait pu être différente. Aujourd’hui, il faut admettre les risques associés à la polarisation grandissante.

En combinant proportionnelle et polarisation, les électeurs auront du mal à reconnaître le parti pour lequel ils ont voté ; les investisseurs trouveront réconfortant de mieux lire l’avenir dans les juridictions voisines, et l’État aura moins de moyens pour activer l’ascenseur social nécessaire à notre progrès collectif.

Changer de cap

En septembre 2018, François Legault a annoncé son intention de transformer le mode de scrutin pour les élections de 2022. Un an plus tard, à la tête de l’exécutif, il peut mieux mesurer les inconvénients découlant de cet engagement. S’il reconnaissait publiquement qu’il a changé d’idée, le prix politique à payer pour ce changement de cap serait fort limité ; après tout, il ne serait pas le premier à revoir sa position sur le sujet.

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