L’élection de la CAQ a accentué le détournement identitaire de la notion du peuple québécois.

Si certains chroniqueurs et hommes politiques ont salué dans l’adoption du projet de loi 21 une victoire historique du peuple québécois, c’est parce qu’ils réduisent la communauté politique à la majorité historique francophone. Mais une telle conception du peuple ne serait possible qu’à deux conditions : définir sociologiquement et historiquement le Québec par sa seule composante majoritaire, ce qui serait impossible ; et défendre une conception de la démocratie qui confondrait la souveraineté populaire et la majorité qui porte un gouvernement au pouvoir. Ce qui non seulement serait un renversement de la signification de la souveraineté populaire, mais, encore plus problématique, cette conception du peuple aurait pour conséquence de transformer le régime démocratique en un club qui gère les seuls intérêts de la majorité. Est-ce l’idée que l’on veut se faire de la démocratie québécoise ?

En effet, si seule la majorité historique francophone définissait le peuple québécois, il faudrait expliquer dans quel ensemble se situent les minorités historiques autochtones et anglophones et les minorités ethniques. Elles aussi, ne sont-elles pas du peuple ?

Il est possible de souscrire à une conception identitaire du peuple, en faisant, exclusivement, de l’histoire, de la culture et de la langue des médiations à travers lesquelles se reconnaîtrait un peuple, cela afin de sauvegarder la primauté symbolique et politique de la majorité. Mais dans ce cas, on s’exposerait à trois risques : la non-reconnaissance institutionnelle des minorités qui composent la société ; la confiscation de l’espace collectif et de la représentation politique aux seuls profits de la majorité ; enfin, il y a le risque de favoriser une définition essentialiste et exclusive de l’identité nationale. Ne pas prendre en considération ces risques, c’est ouvrir la voie à ce que la conception identitaire du peuple nous engage dans une décomposition radicale du lien social et une érosion des mécanismes démocratiques qui garantissent l’équilibre entre la majorité et les minorités.

De même, on peut se demander comment la restauration symbolique du pouvoir de la majorité peut être conciliable avec l’idée de l’égalité morale entre les individus, qui incarne l’esprit de la démocratie libérale, si la majorité historique francophone incarne à elle seule le peuple québécois.

Renégocier le contrat social

L’idée n’est pas de refuser à la culture majoritaire d’occuper le statut d’une culture de convergence, mais de savoir, dans une société multiculturelle et pluriethnique comme le Québec, quelle est la part de reconnaissance sociale et politique dont doivent bénéficier les cultures des minorités historiques nationales et celles des minorités ethniques : il ne peut y avoir de convergence sans possibilité de reconnaissance réciproque.

Mais n’est-ce pas au prix d’une autre conception du peuple que sera possible la reconnaissance réciproque entre la culture majoritaire et les cultures minoritaires ?

Bien qu’il faille admettre l’existence de conceptions concurrentes du peuple, comme l’atteste l’histoire de la pensée politique, on peut, à la lumière de l’expérience historique du Québec et de nos situations sociologique et démographique actuelles, comprendre le peuple québécois comme un sujet collectif, incluant la majorité et les minorités.

Ce serait à travers nos institutions démocratiques et l’État de droit qui les organise que se manifesterait la figure de ce collectif. Si celle-ci ne peut faire l’économie de l’histoire, de la culture et de langue comme d’autres figures à travers lesquelles se reconnaîtrait un peuple, il va sans dire que le sujet collectif ne s’incarne fondamentalement que dans la capacité collective d’agir pour enrichir et renforcer l’héritage de la culture démocratique, sans laquelle la défense du bien commun serait vouée à disparaître.

Mais c’est surtout dans notre capacité collective à renégocier les clauses du contrat social que l’idée d’un sujet collectif québécois peut prendre tout son sens. Pour nous préparer à cette tâche, et en même temps construire le Québec qui vient, il serait ingrat de demander à la majorité de s’accommoder à toutes les appartenances culturelles, car le Québec n’est pas une terre vierge sans culture et sans héritage. Ainsi, pour les minorités ethniques, surtout, il ne faudra pas oublier la dette à l’égard de la culture d’accueil : minimalement, celle-ci pourrait prendre la forme d’une recherche du compromis et d’une transmission, à nos enfants, de l’amour du Québec, dont l’hospitalité a permis à plus d’un de respirer un air de liberté et de bénéficier d’un espace social qui valorise la dignité humaine.

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