Le pseudo-scandale des panneaux publicitaires anti-immigration en témoigne. Depuis Rob Ford, nul politicien n’incarne mieux la postmodernité politique canadienne que Maxime Bernier.

Il y a à peine 20 ans, qui aurait pris ce personnage au sérieux ?

Bernier nie la crise écologique — il a affirmé que « le CO2 n’est pas de la pollution. C’est ce qui sort de votre bouche quand vous respirez et ce qui nourrit les plantes » (24 octobre). Il soutient que si les femmes ne s’impliquent pas en politique, c’est « qu’elles ont d’autres priorités » (22 mai), que le « multiculturalisme extrême » va détruire le pays (13 août) et, coiffé d’un chapeau de cowboy, il multiplie les apparitions aux côtés de militants d’extrême droite.

Cette semaine, à la suite du retrait de panneaux anti-immigration truffés de fautes d’orthographe et payés par un mécène de l’industrie minière, il s’affirmait victime de la censure de la « meute de la gauche totalitaire ». On connaît la chanson. La plupart des notables la chantent désormais quotidiennement.

Même François Legault y a récemment ajouté sa fausse note en félicitant le populaire polémiste Mathieu Bock-Côté pour son dernier livre (heureusement non censuré !), L’empire du politiquement correct. Lorsque la « résistance » à la censure se retrouve à la tête de l’État et dans les pages des grands journaux, c’est certainement parce que le monde est à l’envers, du moins aux yeux de certains.

Pathologie en partage

Malgré son côté comique (tragicomique ?), Bernier n’est pas un novice… Il a travaillé pour l’Institut économique de Montréal, a été conseiller de Bernard Landry et a connu un certain succès dans le monde des affaires avant d’occuper les fonctions politiques les plus « honorables » du Canada.

Maxime Bernier est notre Donald Trump, succès en moins.

Il serait toutefois facile de montrer du doigt le politicien, qui n’est rien d’autre que le symptôme d’une dérive plus vaste.

La droite populiste a compris comment manipuler les grands médias. De polémique en polémique, elle attire les clics, fait mousser les tirages et les cotes d’écoute. Profitant de chacune des occasions pour attaquer ses adversaires, elle se situe hors du débat rationnel. C’est le modèle de Roger Stone et de Steve Bannon que met de l’avant Bernier : une vaste méthode de propagande parfaitement en phase avec les aléas du « marché » (sic) de l’information.

La formule est simple : il faut provoquer l’émotion. Choquer ses adversaires et consolider ses alliés. Une formule à la fois franche et ambiguë fera l’affaire, une de celles qui seront considérées comme scandaleuses par vos ennemis et raisonnables par vos amis. La formule « Dites non à l’immigration de masse » est en ce sens exemplaire. Le qualificatif « de masse » peut être entendu comme une volonté d’attiser la peur ou comme une nuance. Il suffit ensuite de profiter de la réaction de ses adversaires pour les attaquer, le plus souvent en se faisant passer pour une victime (de la « gauche totalitaire », ajoute Bernier). Si tout se passe bien, la même bévue calculée peut être relancée à plusieurs reprises, ce qui vous mettra de l’avant dans tous les médias (ce qui s’est passé cette semaine).

La crise

Comme le pressentait le philosophe Adorno dans les années 30, la rationalité a désormais dégénéré en instrument de domination.

La raison devient « irraison ». Il y a quelques années seulement, plusieurs chroniqueurs et politiciens aujourd’hui bien en vue auraient été considérés comme de parfaits imposteurs.

La crise n’est pas seulement écologique et économique, elle est également intellectuelle et philosophique. C’est ce processus qui progresse sous nos yeux.

Soumis aux impératifs de la croissance infinie, les hommes d’État sont nettement incapables de préserver à la fois les formes économiques, notre qualité de vie et notre environnement. Cela devient de plus en plus évident. La tension est grande, insurmontable. Les défendeurs indéfectibles du marché comme Bernier n’ont donc plus grand-chose à offrir à la population qu’ils prétendent représenter. Sinon la peur et la haine.

C’est pourquoi ils deviennent aussi bêtes…

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