Plusieurs ont été étonnés de voir l’ex-nageuse synchronisée Sylvie Fréchette joindre les rangs du Parti conservateur, ou encore l’ex-joueur de hockey Wayne Gretzky en 2015 serrer la main de Stephen Harper pour ensuite se ranger lui aussi derrière les conservateurs, ou encore l’ex-patineuse de vitesse Isabelle Charest devenir députée pour la Coalition avenir Québec.

Au-delà des considérations partisanes et de tout jugement envers des choix qui sont personnels demeure une question : pourquoi certains sportifs souscrivent-ils à la cause d’un parti de droite ? Y aurait-il une similitude entre les valeurs du sport de haut niveau et celles des partis de droite ?

Je pense que oui et pas seulement parce que l’ordre et la discipline s’imposent comme des maîtres auxquels le sportif doit une pleine et entière collaboration, mais aussi parce que l’histoire même du sport montre que la pratique est née pour servir ces idéaux.

Athlètes et soldats

Sans avoir à refaire toute l’histoire du sport, on peut s’attacher à ses théoriciens pour comprendre les valeurs que l’on définit. Johann Christoph Friedrich GutsMuths (1759-1839) disait vouloir mettre sur pied un peuple de soldats-citoyens, un peu à la manière de Sparte, capable de défendre son pays tout en redonnant au peuple des Germains la puissance et la force qui l’ont autrefois caractérisé.

De son côté, Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) préconisait des jeux où dominait toujours l’idée de la guerre, où le sport devenait une école nationale qui servirait les visées d’un État doté d’une puissante armée. On affirmait alors vouloir répondre à ce qu’on qualifiait de « dégénérescence de la race ». Cette même idée se retrouve chez Francisco Amoros (1770-1848), qui voulait sculpter des corps entraînés pour former des officiers et des hommes de troupe. Ajoutons encore Thomas Arnold, directeur du collège de Rugby de 1828 à 1842, qui, pour gérer les gestes brutaux et les problèmes d’indiscipline chez ses élèves, a mis en place le jeu aujourd’hui connu sous le nom de rugby.

Par une discipline marquée et présente dans tous les aspects de la vie du sportif, on exalte la nation en chantant sa gloire par les exploits physiques. 

C’est dans cette veine que s’inscrit Pierre de Coubertin (1863-1937), qui a voulu faire de l’olympisme, et donc du sport, une nouvelle religion : « En ciselant son corps par l’exercice comme le fait un sculpteur d’une statue, l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau* », écrit-il. Quelques années plus tard, en 1935, il affirme : « Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel. Je n’approuve pas personnellement la participation des femmes à des concours publics, ce qui ne signifie pas qu’elles doivent d’abstenir de pratiquer un grand nombre de sports, mais sans se donner en spectacle. Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs.** »

À la gloire du pays

Ce culte de la nation est encore bien présent dans les arénas, stades et pistes de course. Ce sont parmi les rares endroits où l’on glorifie le pays en y chantant des hymnes nationaux dont les paroles, psalmodiées fréquemment par les athlètes dans tous les rendez-vous régionaux, nationaux et internationaux, marquent leur culture politique. Ainsi de La Marseillaise, dans laquelle on entend : « Entendez-vous dans les campagnes, Mugir ces féroces soldats ? – Ils viennent jusque dans vos bras, Égorger vos fils, vos compagnes ! » ou encore l’hymne canadien : « Car ton bras sait porter l’épée, Il sait porter la croix ! Ton histoire est une épopée, Des plus brillants exploits. Et ta valeur, de foi trempée, Protégera nos foyers et nos droits. » Plus qu’un simple rituel, il s’agit là d’un programme politique qui, ajouté à la ferveur émotionnelle des événements sportifs, grise et emporte l’athlète.

Pour certains, il faut aller plus loin pour comprendre ce qui s’apparente à de l’aliénation.

Jean-Marie Brohm, chef de file de la « sociologie critique radicale du sport », considère que le sport est l’opium du peuple dans un monde tout en violence, qu’en tant que « diversion et exutoire », il entraîne la collaboration des dominés à leur propre domination.

Pour Brohm, le champion n’est pas plus libre que les masses. Il est aliéné, il ne paraît guère posséder d’autonomie face à son entraîneur, sa fédération ou son commanditaire. Tout comme l’ouvrier, il se révèle directement soumis au principe de rendement.

Certes, il est important de préciser que toutes les valeurs prônées par le sport aux XIXe et XXe siècles, la discipline et l’ordre, ne sont pas nécessairement de droite, on voit autant dans l’histoire la gauche comme la droite se saisir de ces valeurs. En revanche, les partis qui portent aujourd’hui ces valeurs sont plutôt issus d’une droite populiste.

Bien sûr, on ne peut pas exclure de l’équation les affinités personnelles, les formes de reproduction sociale familiale ou encore certaines amitiés qui peuvent toutes avoir mené à emprunter le chemin de la droite.

Cependant, au-delà de ces facteurs, tous déterminants, demeure une trame qui fait que le sportif peut avoir une propension plus grande à se rapprocher d’une famille politique qui promeut l’ordre, la règle et la discipline, comme c’était le cas alors qu’il devait tout faire pour gagner la gloire pour son pays. Ne soyons donc pas étonnés de voir une Sylvie Fréchette se joindre aux conservateurs, car sans doute il y en aura d’autres. Comme elle l’a affirmé hier pour commenter son entrée en politique : « Mon attitude est la même que lorsque j’étais athlète : chaque compétition commence zéro à zéro. »

* Cité dans « La face noire de l’olympisme », Roger Pol-Droit, Les Échos, 21 janvier 2014

** Cité dans Jeux olympiques, la flamme de l’exploit, Françoise Hache, Paris, Gallimard, 2008, p. 134

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