À la suite de la controverse déclenchée par le voyage manqué des élues américaines Rashida Tlaib et Ilhan Omar dans les territoires palestiniens occupés, il est utile d’en analyser les conséquences politiques, et qui pourrait gagner et perdre à la suite de cette saga.

Les gagnants

Le mouvement BDS (boycottage, désinvestissement et sanctions) pourrait voir sa notoriété croître aux États-Unis, mais il demeure un mouvement marginal dans le pays. Ainsi, la Chambre des représentants a voté massivement une résolution anti-BDS dernièrement.

Le Parti démocrate américain, qui comprend une faction radicale minoritaire, ressort plus uni à la suite de la défense des deux élues par leurs collègues démocrates, y compris ceux qui les avaient ouvertement rabrouées il y a quelques mois pour leurs propos anti-israéliens, voire antisémites (dans le cas d’Omar).

Il est peu probable que la stratégie de Donald Trump de dépeindre le Parti démocrate comme un parti antisémite et les juifs votant démocrate comme « déloyaux » convainque les électeurs. 

Plusieurs leaders, juifs et non juifs, démocrates (surtout) et républicains ont condamné le président, soulignant qu’il utilisait là des propos outranciers et, pour certains, un trope antisémite dangereux.

Les leaders de l’opposition en Israël ont tous critiqué Benyamin Nétanyahou pour avoir hypothéqué les relations avec le Parti démocrate, menaçant ainsi le soutien bipartisan (démocrate/républicain) de l’État hébreu.

Nétanyahou est hautement redevable à Trump à la suite de la reconnaissance de Jérusalem par les États-Unis comme la capitale d’Israël et de l’annexion par Israël du Golan, l’approbation tacite américaine de l’expansion des colonies, et les coupes draconiennes dans l’aide américaine aux Palestiniens. Le plan de paix américain devrait être annoncé bientôt, et Nétanyahou veut éviter d’irriter le « bienfaiteur d’Israël ».

Les perdants

L’État d’Israël pourrait être le plus grand perdant dans cette histoire. Nétanyahou a mis à mal pour la seconde fois la relation entre Israël et le Parti démocrate. La première fois était survenue lorsque Nétanyahou avait ouvertement critiqué Obama devant le Congrès américain sur la question nucléaire iranienne. Israël en a payé le prix lorsque les États-Unis ont refusé, en 2016, de bloquer la résolution du Conseil de sécurité qui dénonçait la politique de colonisation d’Israël.

Dans l’éventualité d’une administration démocrate en 2020, il est probable qu’elle soit moins bienveillante à l’endroit d’Israël si Nétanyahou demeure premier ministre.

Déjà, plusieurs candidats démocrates tels que Joe Biden, Bernie Sanders et Elizabeth Warren ont ouvertement critiqué la politique de Nétanyahou envers les Palestiniens, et certains comme Sanders sont prêts à utiliser le levier de l’aide militaire pour faire bouger Israël. Mais il est peu probable que la relation privilégiée sur le plan militaire entre les deux pays en soit touchée à long terme, à moins que les intérêts américains et israéliens divergent.

La relation entre les institutions de la communauté juive américaine et le gouvernement Nétanyahou va de mal en pis depuis l’élection de Trump. Ces institutions, qui sont pour la plupart bipartisanes et pro-Israël, partagent les valeurs libérales américaines (respect de la Cour suprême, primauté de la démocratie sur la religion, respect de la diversité religieuse, ouverture aux réfugiés de couleur, respect des minorités et antiracisme, vision des deux États) qui sont systématiquement sujettes aux critiques des politiciens de droite et d’extrême droite ou mises en danger par les lois du gouvernement. 

Les frictions vont de la discrimination envers les communautés juives non orthodoxes, importantes aux États-Unis, et la minorité arabe israélienne, à la volonté de Nétanyahou d’accélérer la colonisation. La proximité de vues entre Nétanyahou et Trump rend plus difficile la défense des intérêts d’Israël par les institutions juives.

Il faut savoir que les électeurs juifs américains votent en très grande majorité démocrate et plus encore depuis l’accession de Trump à la présidence.

Depuis Trump, Nétanyahou a rabaissé l’importance de la communauté juive américaine dans le lobbying pro-Israël. Elle a été remplacée par les évangélistes chrétiens, dont la démographie est 13 fois plus importante que la communauté juive, comme principale source de soutien du gouvernement Nétanyahou aux États-Unis.

Tant Nétanyahou que Trump sont préoccupés par leur réélection, et les gestes qu’ils ont faits ne visent qu’à assurer leur survie politique. Les sondages montrent qu’une victoire de Nétanyahou aux élections du 17 septembre n’est pas évidente.

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