Imagine que tu as un cousin qui s’appelle François.

François habite dans la couronne nord depuis longtemps et n’en sort pas souvent parce qu’il a une belle gang d’amis là-bas. Comme tu habites à Montréal, tu organises tes partys de famille en ville, mais depuis presque 10 ans, chaque fois que tu l’invites, il décline. « C’est trop loin », dit-il. « Je hais le trafic », rajoute-t-il. « Peut-être quand il y aura un nouveau pont ! », rigole-t-il.

Encore cette année, tu l’invites à ton party estival par tradition plutôt que par espoir, et à ta grande surprise, il accepte : c’est que l’automne dernier, François a eu une promotion au travail, et il s’est aperçu que ses cousines et ses cousins auraient sûrement des choses pertinentes à dire qui pourraient améliorer son boulot.

Tu es heureuse qu’il vienne enfin, mais tu as un fond d’amertume : est-ce qu’il vient parce qu’il veut vous voir ou parce qu’il a enfin une « bonne raison » (à ses yeux) de venir, autre que le bonheur de voir sa famille et de s’assurer qu’elle va bien ?

Est-ce qu’il va reconnaître qu’il aurait dû venir avant, que ce sera difficile pour la famille de l’accueillir à bras ouverts après tant d’années ? Se rendra-t-il compte que son absence a miné la confiance de ses cousins et cousines, qu’il aura à faire ses preuves pour reconstruire la relation ?

Il y a de ses cousines et cousins qui sautent de joie : elles et ils l’accueilleront comme l’enfant prodige. Mais d’autres ont dit qu’il n’était pas le bienvenu à la grande table : aucune quantité de gâteaux faits maison ne peut compenser pour ses esquives des dernières années.

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Ce n’est pas facile, comme membre de la communauté LGBTQ+, de se rendre vulnérable. Même si l’on n’a pas soi-même subi de discrimination (une rareté, d’ailleurs), on connaît les histoires des autres : nos voisines ou nos aînés, nos amies ou notre parenté. 

On connaît la violence par cœur, on peut rejouer les récits dans nos têtes comme une cassette. Certains d’entre nous préfèrent rester malades très, trop longtemps plutôt que de risquer un autre épisode de trauma médical. D’autres attendent toujours que leurs droits soient reconnus tout en lisant jour après jour dans les médias que « l’égalité est atteinte ».

Toutes et tous, nous savons qu’il y a eu du progrès. Ce n’est pas parce qu’on est en colère (un peu, beaucoup, passionnément) que nous n’avons aucune reconnaissance, au contraire : nous avons des acquis fragiles, nous travaillons fort pour les garder et pour faire entendre les voix de celles et ceux qui n’en ont aucune.

Ainsi, nous comprenons que c’est le devoir du premier ministre d’être présent à notre plus grande fête de famille et il est évident que nous marcherons avec lui, mais c’est tout aussi légitime d’exprimer des doutes. 

Nous avons un modèle unique au Québec : c’est inscrit dans nos obligations, comme groupe de défense collective des droits, que pour recevoir du financement du gouvernement du Québec, il faut encourager nos membres à le critiquer !

Au lendemain de la Fierté, nous allons continuer à mobiliser nos membres pour que leurs droits soient reconnus et respectés, et le cousin François a beaucoup à voir là-dedans. Il a encore quelques années à faire dans sa nouvelle job : j’espère seulement qu’au prochain party de famille, il va apporter assez de gâteaux pour tout le monde.

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