Aujourd’hui, le groupe rock libanais Mashrou’ Leila devait chauffer les planches du festival de Byblos, au nord de Beyrouth. Mais les musiciens doivent plutôt se cacher : leur concert est annulé à coups de menaces de mort et ils sont accusés de promotion du satanisme et de l’homosexualité.

Ces menaces ont été lancées non pas par des groupes d’islamistes aguerris, mais par des intégristes chrétiens libanais.

Chez nous à Montréal commence le week-end des célébrations de la Fierté. Alors qu’on célèbre ici la diversité, il est judicieux de jeter un regard sur ce qui se passe ailleurs. En Occident, on dénonce très peu cette Inquisition des temps modernes. Il est donc important de faire la lumière sur ce type d’extrémisme religieux violent, homophobe et transphobe : celui de l’intégrisme chrétien, qui fait la chasse aux sorcières, au nom du Père et du Fils.

Nous devons dénoncer ces actions, non seulement par solidarité avec nos confrères et consœurs qui vivent leur différence au Liban à leur corps défendant, mais aussi pour tirer la sonnette d’alarme face à cette menace intégriste chrétienne qui résonne aussi au Québec et au Canada dans les médias sociaux, et ce, dans le but de protéger le droit à la liberté de penser et de s’exprimer.

« À coups de bâton »

Au Liban, l’Église maronite, plusieurs prêtres, hommes politiques chrétiens et internautes zélés constituent le fer de lance de cet extrémisme religieux. Cette chasse aux sorcières en bonne et due forme a été accompagnée de multiples appels à la violence afin d’empêcher Mashrou’ Leila de se produire en concert au festival de Byblos.

C’est le cas d’un prêtre maronite déterminé à chasser les artistes « à coups de bâton » tandis qu’un politicien du parti chrétien Courant patriotique libre – parti du président de la République – a appelé à recourir à la force si nécessaire, en rappelant que le Christ n’avait pas hésité à fouetter les commerçants pour les chasser du Temple. Pire, plusieurs menaces de mort encore plus explicites ont été proférées contre les jeunes musiciens sur Twitter en incluant le mot-clic menaçant #votresangvotrefaute en arabe.

Qu’est-ce qui déchaîne autant les passions de ces ayatollahs chrétiens ? 

Mashrou’ Leila chante le droit d’être différent, de vivre librement et dignement, quitte à bousculer le conservatisme social dont les défenseurs sont les clergés chrétien et musulman ainsi que leurs fidèles respectifs, de véritables fiers-à-bras. 

Cette fois-ci, des prêtres désormais convertis en théoriciens du complot se sont bousculés au portillon pour se prononcer sur le sens occulte des chansons du groupe en accusant les musiciens d’incitation à la débauche – comprendre à l’homosexualité – et au satanisme dans le but de renverser l’Église et de la remplacer par un ordre illuminati-maçonnique mondial.

Céline Dion serait même dans le coup, selon une vidéo affichée sur le compte Facebook d’une radio catholique arabophone de Montréal du nom de Sawt el Rab, nom arabe qui signifie Voix du Seigneur, ni plus ni moins. Cette vidéo homophobe et transphobe hébergée sur une page montréalaise a été partagée 55 fois et visionnée plus de 5000 fois en moins de 24 heures.

Pour sa part, la journaliste d’extrême droite libanaise Vera Bou Monsef affirme que « la liberté des gais s’arrête au respect des valeurs humaines [sic] et religieuses des autres » dans une opinion affichée sur sa page Facebook. En guise de preuve, celle-ci inclut l‘image d’une icône chrétienne sur laquelle la Vierge avait été remplacée par la chanteuse Madonna ; image partagée par le chanteur principal du groupe, Hamed Sinno, en 2015. Bref, Mashrou’ Leila chante pour plus de justice sociale depuis une décennie et on l’accuse d’atteinte à la religion, mais ce qui gêne le plus, c’est l’homosexualité déclarée de Hamed Sinno.

Cette opinion ainsi qu’un autre article critique de Mashrou’ Leila ont été repris par le compte Facebook des Forces libanaises à Montréal, l’autre principal parti chrétien au pouvoir au Liban.

Ces pages montréalaises n’ont pas tardé à attirer des commentaires haineux appelant à la violence anti-gaie : « Enfermez-les dans une prison à homos », « Lapidez-les » ou « Exécutez-les », pour n’en citer que quelques-uns.

En fin de compte, c’est le clergé maronite qui a enfoncé le premier et le dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression dans cette affaire. L’Église maronite a d’abord demandé des excuses de Mashrou’ Leila pour blasphème avant d’exiger l’annulation du concert. Le couperet chrétien est tombé sur le concert malgré le fait que l’État libanais ait interpellé, interrogé puis relâché ces musiciens sans qu’il trouve matière à poursuite.

Notons que les communiqués de l’Église n’ont pas inclus de condamnation des appels à la violence lancés par ses paroissiens contre Mashrou’ Leila, tandis que l’État libanais s’est effacé devant cette frénésie intégriste en demeurant passif face aux menaces de mort contre le groupe.

Pire, lorsque vient le temps de justifier ces menaces de mort, politiciens et internautes sont presque unanimes : qu’auraient fait les autres groupes religieux si leurs symboles étaient « attaqués » ?

Ainsi, les intégristes chrétiens n’ont plus rien à envier à leurs homologues islamistes dans leur volonté partagée de verser le sang de ceux qu’ils considèrent comme hérétiques. Devant l’effondrement de l’État de droit, le festival de Byblos a capitulé face à ce terrorisme chrétien en annonçant la déprogrammation du concert de Mashrou’ Leila « pour éviter l’effusion de sang ».

Ainsi terrorisé par ce nouveau Daech chrétien, le monde de l’art – et avec lui la liberté d’opinion et d’expression au Liban – vient d’encaisser un sacré œil au beurre noir. Malgré ce revers, le rêve de justice sociale de Mashrou’ Leila n’est pas mort, car la société civile libanaise résiste à cet obscurantisme chrétien pacifiquement et avec beaucoup de détermination, alors soutenons-la !

Antennes locales

Tandis que le Liban fait sa propre révolution lentement mais sûrement, au Canada, nous devons pénaliser les individus et les organisations servant d’antennes locales qui propagent ces appels à la violence contre nos minorités sexuelles, et leur rappeler que nous vivons ici dans un État de droit où la foi ne peut pas justifier un crime.

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