Les opérations d’acquisition-fusion se déroulent habituellement selon une chorégraphie éprouvée.

Des conseillers juridiques et financiers viennent conforter les conseils d’administration du vendeur et de l’acheteur. La société mise en vente crée un comité spécial du conseil composé de membres indépendants pour gérer le processus et faire rapport au conseil dans son ensemble. La démarche comporte une étape essentielle, une figure imposée, l’obtention de deux avis par des conseillers financiers présumés indépendants sur le caractère équitable de la transaction, en particulier du prix offert aux actionnaires du vendeur.

La scène finale de ce ballet est une grande assemblée (surtout électronique) des actionnaires du vendeur où se tient un vote pour ou contre la transaction, laquelle a fait l’objet d’une recommandation unanime du conseil en sa faveur… et le tour est joué.

Or, Groupe Mach vient jeter du sable dans cet engrenage ou, pour ne pas mêler les métaphores, veut faire trébucher la ballerine.

Mach fait une proposition astucieuse aux actionnaires de Transat : transmettez votre droit de vote pour l’assemblée spéciale du 23 août à Mach ; si Mach récolte au moins 19,5 % des droits de vote (des actions de classe B) et si d’autres actionnaires votent avec Mach contre la transaction à une hauteur suffisante pour la bloquer (33,3 % des votes ou plus), alors Mach versera 14 $ aux actionnaires qui lui ont transmis leur droit de vote (jusqu’à concurrence de 19,5 % de votes ; si les droits transmis à Mach dépassent ce pourcentage, alors Mach achètera une partie proportionnelle seulement des actions transmises à Mach).

Si l’une et l’autre de ces conditions ne sont pas satisfaites, Mach retournera tout simplement les actions à leurs propriétaires.

Cette proposition fait problème, parce qu’elle place l’actionnaire (surtout le petit) devant un dilemme d’un type particulier appelé « dilemme du prisonnier ».

En effet, de la perspective de cet actionnaire, s’il estime que la probabilité est élevée que de grands actionnaires de Transat votent aussi contre la transaction, réussissant à la bloquer, il devrait accepter l’offre de Mach, puisque le blocage de la transaction fera chuter le prix du titre de Transat au niveau de ce qu’il était avant la divulgation d’une possible offre d’achat. Probablement plus bas encore, puisque Transat a divulgué depuis des informations défavorables à la valeur du titre.

Or, si les actionnaires affluaient en grand nombre (au-delà de 19,5 %) pour accepter l’offre de Mach, ils ne recevraient les 14 $ que pour une partie de leurs actions, le reste subissant l’effet dépressif sur le prix du titre que le rejet de la transaction produirait. Évidemment, l’actionnaire ne peut prévoir le succès de l’offre de Mach auprès des autres actionnaires.

Le dilemme pour l’actionnaire se présente ainsi : si le nombre d’actionnaires acceptant l’offre de Mach ne représente pas beaucoup plus que 19,5 % des actions, il devrait accepter cette offre ; mais s’il savait que des actionnaires représentant beaucoup plus que 19,5 % des actions allaient accepter l’offre, il devrait plutôt voter pour la transaction, contribuant ainsi à son acceptation et obtenant 13 $ pour ses actions.

Toutefois, si des actionnaires importants annonçaient avant le 13 août qu’ils allaient voter contre la transaction, alors la probabilité que celle-ci soit rejetée étant élevée, l’actionnaire devrait accepter l’offre de Mach même s’il est probable qu’il ne recevra 14 $ que pour une partie de ses actions – ce qui sera mieux que de conserver toutes ses actions dont la valeur chutera dès que la probabilité et l’éventualité d’un rejet de la transaction se manifestera.

Mach estime être en mesure de créer de la valeur pour les actionnaires de Transat en « travaillant avec les parties prenantes et les actionnaires pour améliorer la gouvernance, l’imputabilité de la direction et la performance financière de Transat ». Il n’est pas clair ni convaincant que Mach ramènerait ainsi, et rapidement, le titre de Transat à 13 $.

La proposition de Mach place l’actionnaire (surtout le petit) devant un dilemme inapproprié que les autorités réglementaires devraient évaluer.

Un choix pragmatique

Bien sûr, on aurait pu souhaiter que Transat demeure une société indépendante offrant un modicum de concurrence à Air Canada, qui en a bien besoin. Pour un ensemble de raisons dont certaines relèvent d’Air Canada, Transat est fragilisée et vulnérable.

Ainsi, il est surprenant d’apprendre par l’avis sur le caractère équitable de la transaction produit par la Banque de Montréal que « le BAIIA (bénéfice avant impôt, intérêt et amortissement) annuel de la société est généré presque exclusivement par la vente de vols vers l’Europe à la saison estivale, tandis que la vente de forfaits vacances vers les destinations soleil en hiver a historiquement été peu rentable ». Dans la version anglaise de cet avis, on est encore plus ferme : « The sale of vacation packages to south destinations in the winter season has historically been unprofitable. »

En somme, la transaction entre Air Canada et Transat est un choix pragmatique, mais pas idéal. La proposition de Mach ne fait qu’embrouiller la situation sans véritable bénéfice pour les actionnaires de Transat.

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