En réaction à l’éditorial de François Cardinal « Les écolos c. le Québec », publié samedi dernier

La décision du Québec d’intervenir dans la contestation de la tarification fédérale du carbone porte un coup sérieux aux efforts de lutte contre les changements climatiques au Canada.

Le Québec a pris soin de rappeler qu’il appuie la tarification fédérale du carbone, mais sa contestation risque d’y porter un coup fatal si elle est couronnée de succès, laissant le Québec isolé avec la Colombie-Britannique, les deux seules provinces ayant mis un prix sur la pollution au Canada, qui subiront des pressions de plus en plus grandes pour l’abandonner à leur tour.

Il est essentiel de comprendre que la tarification fédérale du carbone est conçue pour créer une dynamique d’amélioration continue (race to the top) qui force les provinces à appliquer un prix carbone et à l’élever avec le temps.

Ainsi, le fédéral laisse aux provinces le soin de mettre en place une taxe, un marché ou un mécanisme équivalent, et de décider elles-mêmes de l’usage des revenus qu’elles en tirent.

Il ne fait qu’assurer l’équité entre les provinces en fixant un prix minimal qui devra être appliqué partout pour éviter qu’une province ait un avantage concurrentiel en laissant ses entreprises polluer gratuitement. Cette dynamique est à l’avantage du Québec.

Loin du fédéralisme centralisateur

Le gouvernement fédéral joue donc son rôle en évitant de se substituer aux compétences des provinces. Rappelons à cet égard que le Québec a signé une entente avec le fédéral qui reconnaît le marché québécois du carbone. Nous sommes donc loin du fédéralisme centralisateur ou dominateur décrié par certains. Le Québec demeure libre de mettre en place son propre mécanisme.

Ce qui dérange le Québec ? L’obligation de faire rapport annuellement sur son marché du carbone. « Le système du Québec est soumis à la surveillance et l’approbation du fédéral, et c’est là que ça nous chatouille », affirme Sonia LeBel, ministre québécoise de la Justice.

Imaginons que le Québec ait gain de cause et que les provinces n’aient plus à soumettre leur tarification du carbone au fédéral. Ottawa ne disposerait d’aucun levier pour s’assurer que les tarifications du carbone établies par les provinces sont équivalentes et que le prix carbone s’élève avec le temps.

C’est l’un des fondements de la tarification fédérale du carbone qui tomberait. 

En remettant ainsi la tarification du carbone entre les mains des provinces, on renverserait complètement la dynamique en créant une fuite vers le bas (race to the bottom) où chaque province a intérêt à ne pas appliquer de prix carbone ou à le réduire au minimum pour faire des gains de compétitivité.

Cour suprême

Une des thèses avancées pour remettre en question la tarification fédérale du carbone est que la Cour suprême pourrait appliquer la vision classique de la théorie de l’intérêt national et attribuer au fédéral un pouvoir exclusif en matière de gaz à effet de serre (GES), ce qui permettrait éventuellement au gouvernement fédéral de ne pas agir, voire d’empêcher les provinces d’agir au terme de cette compétence exclusive.

Cependant, il apparaît peu probable que la Cour suprême s’en tienne à une application classique de l’intérêt national sans considérer que les changements climatiques demandent une coopération réelle entre tous les gouvernements, coopération que la Cour semble par ailleurs favoriser de plus en plus en matière constitutionnelle.

Plus important encore, tant la Cour d’appel de la Saskatchewan que celle de l’Ontario ont reconnu que les changements climatiques représentent une situation d’urgence et constituent une menace réelle pour tout le pays. Cette reconnaissance est importante et – si confirmée par la Cour suprême –, elle représente un levier pour presser les gouvernements d’agir pour atténuer les changements climatiques, et non le contraire.

Risque d’affaiblissement

En somme, le Québec appuie en principe la tarification fédérale du carbone, mais l’effet de son intervention est de l’affaiblir au risque de la rendre totalement inefficace. Si, en plus, les provinces qui contestent le système fédéral ont gain de cause, le Québec se retrouvera isolé et c’est sa propre tarification du carbone qui sera mise en cause d’ici quelques années. Les pressions seront fortes pour l’abandonner quand le prix de la tonne de carbone atteindra 30 ou 40 $ au Québec et que les entreprises continueront de polluer gratuitement en Ontario.

Le Québec risque de se retrouver bien seul dans une fédération qui tourne le dos à la lutte contre les changements climatiques. Et c’est justement ce que les adversaires de la tarification du carbone souhaitent : isoler les territoires qui l’ont mise en place pour forcer son démantèlement partout où elle s’applique. Dans cette guerre contre le climat, le Québec a choisi les mauvais alliés.

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