On se souvient de la réponse coup de poing que Denis Coderre avait formulée à la suite de la controverse entourant le nom de la rue Amherst.

Commandant des forces britanniques victorieuses en Amérique du Nord, Jeffery Amherst n’avait plus sa place à Montréal. La raison est bien connue : ce général aurait lancé une « guerre bactériologique » contre les autochtones.

Comme ailleurs au pays, il fallait le rayer de la carte. Au risque de perdre la mémoire. Ou de s’en créer une nouvelle.

De concert avec des représentants autochtones, la Ville de Montréal vient de dévoiler la nouvelle désignation empruntée à la langue mohawk, un symbole de la réconciliation : Atateken, qui signifierait « frère et sœur » ou fraternité. Applaudissons cette initiative. Mais ce qui se comprend bien dans le contexte actuel risque aussi d’apporter une certaine confusion sur le rôle historique de chacun, voire de déformer une partie de l’histoire coloniale.

L’idée de guerre bactériologique tient surtout à ceci : en juillet 1763, Amherst suggérait de refiler aux autochtones des couvertures infectées par la variole pour « exterminer cette race maudite ». 

L’intention génocidaire est évidente. Mais replaçons ces mots dans leur contexte. À l’annonce de la cession de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne, plusieurs nations des Grands Lacs, de l’Ohio et de l’Illinois se soulevèrent contre les Britanniques.

La très mal-nommée révolte de Pontiac constituait en réalité une véritable guerre : les autochtones s’emparèrent ou firent le siège de forts militaires comme celui de Detroit à l’été 1763, semant la terreur et la stupéfaction chez les Britanniques. 

C’est ici qu’il faut situer les mots de Jeffery Amherst, rappelé à Londres dès le mois de novembre.

PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

Jeffery Amherst

Si les hostilités prirent fin en 1765, ce ne fut pas en raison du succès de la guerre bactériologique, même si les victoires militaires britanniques ont contribué au retour de la paix. Celle-ci fut plutôt obtenue grâce à la diplomatie du surintendant William Johnson, qui restaurait une logique d’alliance et faisait des autochtones des partenaires plutôt que des sujets ou des victimes.

Dans cette diplomatie, les nations iroquoises jouèrent un rôle important. Depuis des décennies, la Covenant Chain avait rapproché les Britanniques de la ligue iroquoise des Six-Nations établies dans l’État de New York.

Faisant sentir leur présence jusque dans l’Ohio, les Six-Nations furent la cheville ouvrière d’une politique indienne britannique qui se redéploya durant les années 1760. Ni vaincus ni victimes passives, les Iroquois de Kahnawake avaient conservé les liens historiques qui les unissaient avec les Six-Nations (la nation mohawk en particulier). La confédération des Sept-Feux du Canada, dont le foyer se trouvait à Kahnawake, se rallia d’ailleurs à la diplomatie de Johnson dans le sillage de la défaite française.

Remettre les évènements dans leur contexte historique permet de mieux comprendre le fossé qui nous sépare du passé.

Amherst était un Européen de passage et, tout comme la plupart des officiers français, il était horrifié par ces « Sauvages » qui, comme ennemis mais aussi comme alliés, faisaient la guerre autrement.

Depuis des décennies, les colons britanniques subissaient les raids meurtriers des autochtones sur leurs frontières. La colère des officiers britanniques était autant tournée vers les Français qui, avec les Canadiens, participaient à ces actes ou les encourageaient.

Comme descendant des vaincus de 1760, je ne conserve aucun attachement à la rue Amherst. Il aura fallu le moment « vérité et réconciliation » pour en être débarrassé. Mais il ne faudrait pas que ce soit au détriment d’un souci de vérité historique ni d’un passé colonial qui mériterait d’être convoqué plus souvent dans toute sa complexité.

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