Le 1er juin dernier se déroulait la Journée de visibilité lesbienne, organisée, cette année, par le Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ).

Si la genèse de cette journée remonte à 1982, le Réseau a été pour sa part créé en 1996. Malgré leurs décennies d’existence, ces deux initiatives demeurent pourtant méconnues. Normal. On parle rarement des lesbiennes dans les grands médias.

Et lorsque l’invisibilité lesbienne passe sous le signe de la visibilité, le prix à payer peut être élevé pour celles qui sortent de l’ombre. Safia Nolin en sait quelque chose.

Dans un article publié dans La Presse le 30 mai dernier, Safia Nolin s’affichait comme fière porte-parole de la Journée de visibilité lesbienne. L’équipe du RLQ était d’autant plus ravie d’avoir choisi Safia, elle-même honorée de s’associer à cet important événement pour les femmes de la diversité sexuelle au Québec.

Bien que cette journée soit nommée « visibilité lesbienne » en l’honneur des pionnières du mouvement, elle s’adresse à toutes les femmes LGBTQ+ et leurs allié(e)s.

Puisque toute femme de la communauté LGBTQ+ est unique, chacune aspire à un modèle qui lui ressemble.

Or, dans une communauté dénuée de modèles tangibles et diversifiés, dès qu’une femme s’expose, la solidarité féminine fait défaut. Normal. Notre société valorise plutôt la compétition entre femmes et les privilèges réservés aux hommes (blancs). Ce climat malsain ne fait que maintenir les femmes dans la peur : celle de s’exprimer, d’être victime de violence.

D’hier à aujourd’hui, le meilleur exemple demeure le féminisme : bien qu’elles sachent s’organiser et revendiquent l’égalité homme-femme sur tous les fronts, les féministes furent tantôt discréditées, ignorées ou bafouées. Pourtant, elles ne font que dénoncer nombre de violences commises envers les femmes, ici comme ailleurs, et pour la plupart implicitement cautionnées par nos sociétés.

Commentaires lesbophobes

C’est donc sans grande pudeur (et sans grande surprise) que nous avons vu déferler dans nos médias sociaux et ceux de Safia Nolin nombre de commentaires lesbophobes, c’est-à-dire des commentaires haineux liés à l’orientation sexuelle, mais aussi au genre féminin, voire un mélange plus ou moins dosé de sexisme, d’homophobie et d’hétérosexisme. 

Notamment, on accusait Safia de ne pas être le modèle « idéal », de par son apparence physique (nombre de commentaires étant d’une violence inouïe, nous les tairons ici). Safia a beau représenter un modèle de réussite, être une auteure-compositrice-interprète accomplie, ayant fait sa marque dans une industrie où peu de femmes (lesbiennes) y font entendre leur voix, on la juge et on lui lance des injures (presque uniquement) en raison de son apparence.

Pourquoi ? Parce qu’être lesbienne, c’est d’abord être femme, donc devoir se conformer à l’image sociale de la féminité, puis aux stéréotypes de « la lesbienne », illustrés par la dichotomie butch/femme ; d’un côté, la lesbienne masculine (celle qui « veut être un homme ») et de l’autre, la lesbienne féminine (le « fantasme pornographique hétérosexuel »), celle qui « n’a pas encore trouvé le bon gars » ou qui est « trop belle pour être lesbienne ».

L’ironie (et l’erreur) ici, c’est qu’on définit une orientation sexuelle par l’apparence physique et du point de vue du regard masculin hétérosexuel.

Cette fille (présumée) hétérosexuelle que vous croisez tous les jours dans la rue est pourtant lesbienne. Invisible. Vous préférez ne pas la voir. Cela serait inconfortable. Inexplicable. Comment expliquer qu’une femme qui en aime une autre puisse « survivre » dans un système hétéronormatif ? 

L’être humain a besoin d’identifier, d’étiqueter, de contrôler, pour mieux comprendre ce qu’il ne peut cerner. En étant fièrement elle-même, sans pour autant affirmer être un modèle, Safia attire la calomnie des gens. Normal ; elle parle avec son cœur.

Il n’est pas aisé de vivre son lesbianisme dans une société qui « invisibilise » tant le terme que l’orientation. Qui banalise tous les jours la violence commise envers le vécu de ces femmes. De toutes ces calomnies dont Safia est victime, nous sommes fières qu’elle se tienne debout devant les violences qu’on lui crache au visage.

En sortant de l’ombre, en devenant visible, la lesbienne s’expose ainsi au regard de l’autre. Fréquemment, elle vit de la lesbophobie (intériorisée ou extériorisée, dans la rue ou sur le web). Les violences psychologiques et physiques qui en découlent ne sont guère négligeables.

La cyberviolence envers les LGBTQ+ faisait d’ailleurs l’objet de la plus récente campagne (choc) de la Fondation Émergence du 17 mai dernier, Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. À noter que la lesbophobie est « incluse » sous l’appellation « homophobie », agissant comme terme unificateur de toutes les LGB+phobies.

Or à juste titre, nous pourrions argumenter qu’elle y demeure cachée, puisque nous savons très bien que la lesbophobie inclut le sexisme, avec des discriminations inhérentes au genre, que les hommes gais/homosexuels subissent peu. Or, ce scénario n’est pas nouveau. 

Sortir de l’ombre

En cette année de commémoration du 50anniversaire des émeutes de Stonewall et de la loi omnibus (qui décriminalisait l’acte homosexuel entre individus consentants de 21 ans et plus, au Canada), les femmes s’identifiant comme lesbiennes, bisexuelles, bispirituelles, pansexuelles, asexuelles, trans, gaies, etc., comme leurs réalités propres, sont rarement visibles. 

Pourtant, il y a 50 ans, ces femmes étaient néanmoins aux côtés des hommes gais dans la lutte pour leurs droits.

Il est grand temps de sortir ces femmes de l’ombre, tant pour les combats qu’elles mènent que pour le courage dont elles font preuve, en osant s’afficher et prendre la parole dans une société où l’hétéronormativité demeure la norme.

Cette même société où critiquer la salopette que porte Safia Nolin devient la norme (sur la toile comme sur papier), même lorsque les femmes savent mettre leur pantalon.

* Signataires : Monik Audet, présidente du Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ) ; Safia Nolin, auteure-compositrice-interprète ; Line Chamberland, titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie, UQAM ; Florence Gagnon, fondatrice de Lez Spread The Word (LSTW) ; Audrey Mantha, coordonnatrice générale, Centre de solidarité lesbienne (CSL) ; Nathalie Di Palma, animatrice, émission de radio Lesbo-Sons, CKUT 90,3 FM ; Julie Aspiros, auteure-compositrice-interprète ; Nimâ Machouf, épidémiologiste et candidate du NPD dans Laurier–Sainte-Marie ; Hélène Laverdière, députée de Laurier–Sainte-Marie, Nouveau Parti démocratique (NPD) ; Martine Roy, militante impliquée dans la communauté LGBT ; Johanne Coulombe, militante au Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ) ; et Gloria Escomel, militante

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