Je parcourais les infos cette semaine, avec un regard de travers. Il y aurait tant de choses à dire que c’est décourageant. Je dis ça sans déprime, un simple constat. Il a fait très chaud le week-end dernier. Juste assez pour « sauver » le potager et les champs. Ça y est, tout est levé. Même le maïs et le soya industriel. Suis sûr que les concombres seront en retard.

Quelques belles nouvelles, dont celle de la réintégration de l’agronome Louis Robert, au sein du ministère de l’Agriculture. Parfois on se réjouit que le gros bon sens ait encore une petite place dans nos cœurs cyniques ! Saluons ce geste.

Et comme je n’avais rien à faire (hum…hum…), et que le potager suit son cycle, suis allé sur la Côte-Nord deux jours, à la pêche.

Comme la vie est faite de rêves et d’espoirs, vendredi matin c’était impossible d’aller sur la rivière, à cause du vent. J’en ai profité pour aller acheter des mouches à saumon et constater un peu l’état du monde autochtone chez les Innus de Maliotenam.

Je suis préoccupé par le territoire. Et suis fasciné par les gens qui habitent le leur.

Cela étant dit, Réginald Michel (un Innu) fait les plus belles mouches au monde. Un artiste. J’en ai profité pour jaser un peu de leur situation.

Je sais que c’est un sujet sensible, les Indiens. À tort et à raison. Mais ça m’émeut toujours autant.

Réginald veut sauver la ressource (les saumons de la rivière Moisie) parce que les saumons de la Côte-Nord ont nourri les Innus depuis toujours. Alors il donne des ateliers, et milite contre les filets de sa communauté qui « seinent » le milieu de la rivière. Évidemment ça crée des frictions à l’interne. Pour les ancêtres, le saumon était harponné. Les filets sont apparus après la conquête ; c’est un outil blanc, adapté par les autochtones. Et les temps changent.

— C’est l’économie qui mène le monde, la loi de la Nature a été sacrifiée, et ça donne ça.

« Ça », c’est une décroissance et une perte de repères, qu’il faut gérer tant bien que mal. Et pour lui, ça passe par des gestes simples ; il veut éduquer les femmes et les enfants à la pêche sportive et au respect de la ressource : « parce que les femmes vont dire à leurs frères et leurs maris que les filets illégaux n’aident personne ».

Le problème est profond. On sent beaucoup d’humanités et de déchirements dans cette transition, surtout à l’interne, dans la réserve. Les Innus revendiquent le territoire (à tort ou à raison, je le rappelle). Leur pêche, aussi réglementée (mais sans grande insistance), est une pêche de subsistance. Et tout le monde, dans un idéal de gros bon sens, pas seulement les Premières Nations, devrait avoir le droit de prélever du gibier, des poissons, des crustacés, des fruits de mer, pour se nourrir. Mais c’est autrement. Faut faire avec.

Les Blancs chialent, les Innus se braquent. Personne ne s’entend. Personne ne se parle vraiment.

Je lui ai demandé s’il sentait une volonté des gouvernements d’améliorer les relations. Réginald n’est pas un gérant d’estrade, c’est un homme autour de 60 ans, éloquent, et il a clairement réfléchi à la situation.

— Non, il ne se passe rien, à part de l’argent distribué ici et là par Hydro-Québec, mais les gens vivent encore de l’aide sociale ici. Et on continue de transmettre, et d’entretenir les douleurs et les sévices à nos enfants depuis des générations. Tout ça continue de se transmettre.

Maliotenam, le village innu, avait un pensionnat dans le village. Les enfants étaient séparés de leurs familles, qui vivaient à une, deux ou trois rues de là.

— Vous étiez coupés d’eux par quelques mètres ?

— Oui, je pense qu’on voulait tuer l’Indien en nous en nous enfermant, loin de nos parents. Ils changeaient aussi nos noms.

— Penses-tu que tu vas un jour pouvoir passer à autre chose ?

— Non, on a été dépossédés.

Le problème de dépossession est fondamental. Pas juste pour les Indiens. Je fais le tour des réserves et villages autochtones depuis des années (ils n’aiment pas le mot réserve parce que ça connote un enclos pour animaux), et ce sont les racines que notre beau grand monde libre sacrifie. Partout. Jusqu’à piller la nature de ses droits.

Tout ça a des conséquences. L’histoire de nos Indiens n’est qu’une alarme de plus ; on s’essouche. Alors on gaspille, on consomme, on pollue.

Évidemment, la classe politique ne racontera que les belles choses. Quand il y en a quelques-unes, ici et là, on sort la parade. Mais aller voir les citoyens autochtones et leur demander qu’ils racontent leurs vérités. Ça permettrait d’avancer un peu.

Il m’a aussi raconté que le gouvernement « rachète » la carte autochtone ; c’est-à-dire leurs droits. Pour 33 000 piasses, un Indien pourrait vendre son « identité » au gouvernement et renoncer à ses droits et privilèges. Ça s’est mis à spinner dans ma tête.

Réginald demeure optimiste. Il veut qu’on se parle et qu’on s’écoute. Parce qu’il croit que personne n’entend l’autre en ce moment. On entretient beaucoup la haine de l’autre. Des deux côtés. Il y a des mauvais réflexes de chaque bord. Rien n’avance.

Nitassinan, ça veut dire « notre terre » en innu. C’est aussi le nom du territoire de la Côte-Nord. Je ne suis pas un militant, et je ne veux pas sauver le monde des Indiens. Mais j’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui ont vécu, survécu, et occupé le territoire qu’ils ont choisi.

— Réginald, c’est quoi l’avenir d’un autochtone aujourd’hui ? Il a fait une longue pause, plusieurs secondes, avant de dire que c’était une bonne question.

Et il n’a jamais répondu.

Il va m’envoyer mes mouches quelque part à l’automne.

***

Bon, je retourne me mettre les mains dans la terre. Et faire quelques patentes d’artistes pour quelques semaines. Vous souhaite un bel été.

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