Une des dimensions du populisme consiste à exploiter sans scrupule les mécontentements et les peurs existant dans une population afin de l’amener à partager des représentations déformées de la réalité et à appuyer des politiques radicales de droite, faussement présentées comme des solutions.

Exemples : la plupart des musulmans sont des terroristes potentiels ou avérés, fermons-leur nos portes ; les minorités religieuses détruisent la laïcité, supprimons les accommodements ; les immigrants mexicains illégaux sont des criminels, bâtissons un mur.

Aux États-Unis, le populisme présente un trait nouveau. Il ne met pas en cause uniquement le clivage élites-peuple, il s’étend aux couches favorisées de la classe moyenne. Le phénomène s’est donc compliqué en se transformant. Il ne se limite pas à l’opposition classique entre riches et pauvres ou entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui en sont privés. Le racisme (Blancs/non-Blancs) y occupe également une large place.

Aucune démocratie ne peut aujourd’hui se prétendre immunisée contre ce genre de dérive. Mais quels sont les risques de voir le populisme éclore au Québec? La question doit être abordée avec prudence. Elle est cependant pertinente, compte tenu des partis d’extrême droite qui prospèrent en Europe, et compte tenu surtout de l’évolution récente de pays où la démocratie semblait bien implantée et dont la liste s’allonge.

Au Québec, une inquiétude vient du décrochage social que nous a révélé un sondage CROP-La Presse effectué en janvier-février 2017. Ce sondage révélait qu’une majorité de Québécois se sentent exclus socialement et se méfient des politiciens, des médias, des gens d’affaires et des scientifiques (des « experts »).

Il existerait donc au Québec un sentiment anti-élites qui pourrait entraîner une confiance déclinante dans nos principales institutions.

Un deuxième facteur tient dans l’influence grandissante des médias sociaux qui — plusieurs études l’ont montré — sont une source puissante de désinformation à la portée de tous, échappent à toute forme de validation et engendrent souvent l’intolérance et la radicalisation. Il faut tenir compte aussi de la peur que continue d’inspirer partout la menace terroriste islamiste. Enfin, l’élection de Donald Trump va peut-être banaliser le populisme et susciter des imitateurs.

Dans la direction opposée, d’autres facteurs réduisent la probabilité d’une vague populiste au Québec. Il n’existe pas ici de parti politique qu’on pourrait qualifier de populiste ou d’extrême droite.

Nous n’avons pas, dans les médias, l’équivalent de Fox News et de Rupert Murdoch ni, dans le monde des idées, de puissants think tanks réactionnaires abondamment financés par des milliardaires cyniques (comme les frères Koch) voués au sabotage de la démocratie, des institutions et de l’éthique publique. En conséquence, les « fake news », pour le moment, ne constituent pas une menace alarmante. Rappelons aussi qu’en politique, depuis la chute du régime Duplessis, nous n’avons connu que deux ou trois épisodes à saveur vraiment populiste (exemples : les « Bérets blancs » et le Crédit social) et leur portée est demeurée plutôt restreinte.

Enfin, contrairement à plusieurs régions des États-Unis, le Québec n’est pas une société pathologique. Le sous-emploi, la criminalité, les toxicomanies et la violence n’y sont pas hors de contrôle, le tissu familial et communautaire a pour une bonne part survécu au néo-libéralisme, les politiques sociales sont encore généreuses et la participation électorale demeure élevée.

Dans ces conditions, on se demande pourquoi 60 % des Québécois se disent exclus et se méfient des dirigeants politiques tout comme de l’ensemble des élites. C’est là un énorme paradoxe qui devrait attirer davantage l’attention. La prochaine décennie pourrait être déterminante. C’est alors que nous verrons si le Québec a vraiment passé le test du populisme.

Un populisme vertueux ?

Mais qu’en est-il d’un éventuel populisme de gauche qui, étrangement, séduit des intellectuels en France et ici même ? Il faudrait d’abord savoir ce que c’est. À moins de brouiller le sens des mots, le populisme est un discours faux destiné à tromper les citoyens. Parler d’un populisme de gauche, c’est supposer que les partisans de la gauche pourraient exploiter la même recette, mais au service d’une politique vertueuse. Est-ce une bonne idée ?

La notion sème une grande confusion. Le populisme est intrinsèquement immoral et on ne voit pas comment il pourrait être blanchi en servant la démocratie et la justice sociale. Y aurait-il une mauvaise et une bonne démagogie ? La grande tradition de la gauche ne manque pourtant pas de vocabulaire pour désigner ce qu’elle a toujours fait : désamorcer les discours falsifiés et aliénants des puissants pour mettre au jour la réalité des défavorisés tout en responsabilisant et en mobilisant les citoyens. Pourquoi s’en détournerait-elle ?

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