« Toi, citoyen François Legault ; toi, député de L’Assomption ; toi, premier ministre du Québec »

Dans une vidéo partagée sur sa page Facebook le 14 mai, Catherine Dorion s’adresse à François Legault concernant le projet de transport structurant de Québec, dit plus simplement du tramway. Aussitôt, levée de boucliers. Certains contre-arguments se sont adressés au fond : ceux-là sont légitimes et je les laisse de côté. Beaucoup trop se sont concentrés sur la forme, et c’est à ceux-là que je tiens à répondre.

On reproche à Catherine Dorion ses sacres. On lui reproche d’être à tu et à toi avec le premier ministre du Québec. On lui reproche de ne pas parler à la « hauteur » de la « dignité » de sa fonction de parlementaire. Bref, on ne comprend pas que ces sacres, ce tutoiement, tout ce langage, donc, soient une affirmation en soi, en plus du propos sur le tramway.

Le choix de la vidéo comme média, du milieu où elle est enregistrée, du niveau lexical utilisé : tout est fait pour montrer que Catherine Dorion est du peuple, parmi le peuple, avec le peuple — et que, comme ce peuple est la mesure de la « hauteur » et de la « dignité » du parlementarisme, on ne peut les juger en dehors de lui.

Et n’est-ce pas là son rôle de représentante ? 

Cette partie du travail de délégué qui consiste à porter la parole des citoyens n’est-elle pas mieux remplie si le délégué s’exprime comme eux ? 

On répondra, et je serai d’accord, que le député politique porte les idées plus que la voix, et qu’on peut l’avoir choisi précisément pour son talent de résumer les idées différemment, et donc potentiellement mieux.

Une formule complexe peut tout autant dissiper une formule simple qu’elle peut la densifier.

C’est réglé pour la question des sacres, que j’aurais comme tant d’autres exclus du message parce qu’ils ralentissent l’expression des idées. 

Reste celle du tutoiement. La webosphère s’enflamme pour souligner le manque de respect à l’égard du premier ministre, soit la fonction la plus importante de la province. On crie à la perte des repères et des principes, on compare avec le monde scolaire ou le milieu professionnel. Ma certitude est que l’arène politique a d’autres exigences que ces derniers, et qu’en termes de repères et de principes, s’il en faut, de nouveaux seraient plus fonctionnels que les anciens.

Tutoiement et démocratie directe

Doit être considéré comme politiquement productif ce qui facilite le débat.

Une discipline linguistique qui consacre un système de déférence différentielle est plutôt un frein à l’échange d’idées qu’elle n’en est un moteur : car on n’ose pas confronter celui qu’il faut vouvoyer pour souligner son importance de la même manière que son voisin qu’on tutoie.

La démocratie représentative, si elle fonctionne par délégation pour favoriser l’efficacité dans les votes et la prise de décision, n’empêche toutefois pas le débat direct. Et celui-ci est d’autant facilité par les outils numériques, qui permettent à tous les députés, comme à tous les citoyens d’ailleurs, de partager leurs idées avec le premier ministre.

Vouloir entraver cette communication au nom de la sacralisation de la représentation, ce serait prendre un moyen pour une fin, ce serait refuser une forme de démocratie directe là où elle peut enfin se réaliser à coût nul, ce serait en un mot s’avouer antidémocrate.

Je souhaite donc que nous érigions en règle du débat démocratique le tutoiement sans égard à la hiérarchie et que nous considérions comme le plus haut degré de civisme l’adresse à cet homme par l’une ou l’autre de ces trois formules, tout dépendant auquel de ses rôles spécifiques on s’adresse au juste : « toi, citoyen François Legault »; « toi, député de L’Assomption »; « toi, premier ministre du Québec ».

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