« La protection de la jeunesse… plus qu’une loi. » Cet extrait de janvier 1992 ouvre le rapport du groupe de travail sur l’évaluation de la loi sur la protection de la jeunesse.

Le président du groupe de travail, le juge Michel Jasmin, avait requis mon expertise pour illustrer la perspective sociale. Ce rappel est toujours d’actualité.

L’intervention exceptionnelle de l’État pour protéger un enfant

L’intervention en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse ne peut jamais, quant à elle, se situer ailleurs qu’en aval, puisque l’État ne peut s’immiscer dans la vie privée de l’enfant et de sa famille en l’absence d’une situation critique clairement établie. Voilà pourquoi il est important que se développent des ressources susceptibles d’éviter l’émergence des problèmes et de limiter l’intervention en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse.

La responsabilité primordiale des parents

Si l’enfant est la raison d’être de la Loi sur la protection de la jeunesse, il est d’abord et avant tout au cœur de la vie des parents. Il est le fruit d’un père et d’une mère qui, du fait de la naissance de l’enfant, ont scellé un engagement.

Le lien de la chair, s’il marque l’origine de tous les autres, n’en est pas forcément la garantie et il ne saurait servir d’immunité à la carence de soins. La naissance d’un enfant n’est jamais qu’un moment ; elle signe une maturité corporelle, sa croissance s’inscrit dans une longue suite de gestes responsables et appropriés qui nécessitent une maturité psychique et une qualité d’engagement constante.

Il faut rappeler que l’État ne sera jamais un substitut aux parents, mais un relais instauré dans l’espoir qu’advienne une relation saine entre des parents et des enfants.

à l’heure de l’enfant

Les liens affectifs se construisent dans la durée, dans le temps de la présence des figures parentales personnalisées ; ils s’atténuent et se défont dans l’absence.

Pour l’enfant, il y a le temps facteur d’anxiété et le temps à considérer comme élément fondamental de son développement.

Il y a aussi les temps perdus dans l’inconnu de l’attente d’une décision, les temps des délais administratifs et les délais judiciaires. Il y a aussi le temps du détachement lorsque l’enfant perd ses points de repère affectifs pendant une trop longue période. Pire, il y a la perte de la capacité d’attachement lorsqu’il n’y a pas d’inscription affective durable avec un adulte significatif ou lorsqu’il n’y a pas de continuité, mais une succession de moments avec une succession de personnes.

La nécessité d’interventions contemporaines doit répondre au sens du temps chez l’enfant auquel le système, qui a la prétention de le protéger, doit s’ajuster. Nous devons donc exercer nos responsabilités dans la considération de la notion de temps chez l’enfant et dans le souci continuel de la célérité.

Bref, nous devons nous mettre à l’heure de l’horloge psychique de l’enfant.

L’abandon de l’enfant

À l’égard des enfants abandonnés et ballottés, l’État a la responsabilité de les orienter vers un projet de vie permanent. L’État a le devoir de leur donner une appartenance, il doit mettre fin aux situations susceptibles de créer un vide affectif, dans des délais qui ne compromettent pas définitivement la capacité d’évolution de l’enfant.

Si l’autonomie et l’intégrité de la famille sont des valeurs fondamentales à préserver, le besoin d’un enfant de faire partie d’une famille stable est tout aussi fondamental.

Les difficultés de l’intervention sociale

Par la Loi sur la protection de la jeunesse, l’État s’est donné un outil où la noblesse de l’intention ne doit pas masquer les difficultés de l’intervention. Intervention non voulue, non souhaitée, souvent perçue comme une intrusion, intervention d’équilibriste sur le fil tendu des droits des uns et des autres.

L’intervenant social gère non pas des biens ou des services, il gère des risques : le risque du danger pour l’enfant en soupesant la décision considérée comme salutaire ou la moins dommageable.

Les intervenants sont continuellement exposés à la souffrance, à la misère, à la violence et parfois à l’horreur. Ils sont percutés et sont au centre d’une arène de conflits et d’adversité qui se rejoue de façon formalisée au tribunal. Bien des écueils avant d’arriver à instaurer la confiance nécessaire à la réparation et à l’indispensable alliance tant recherchée. Les connaissances cliniques et un solide encadrement visant à assurer une bienveillance exercée sous autorité sont des prérequis essentiels.

La complexité du système judiciaire

Peu de décisions judiciaires sont aussi déterminantes sur la vie privée des individus que celles touchant à la protection de la jeunesse. Trois, parfois quatre avocats sont dans l’enceinte du tribunal. Sur la scène judiciaire se rejouent les déchirements personnels de tous les acteurs, qu’ils soient au centre même du litige ou qu’ils soient à la périphérie. Il n’y a personne qui ne puisse se soustraire de sa propre enfance à laquelle se répercute, il faut en convenir, la souffrance appréhendée ou réelle de l’enfant dont on s’occupe.

Peu de juridictions exigent du juge autant de qualités humaines, tant sur le plan des connaissances que sur le plan des attitudes. Si, de par son autorité et sa compétence, il juge en fonction du droit ; par la dignité de sa fonction et de sa personne, il témoigne des valeurs civilisatrices qui doivent inspirer les conduites.

Nous sommes en 2019. Un événement tragique nous force à jeter la lumière sur notre système de protection des enfants vulnérables. Nous devons favoriser le développement de leur lien d’attachement dans le milieu qui leur est bienveillant. Les connaissances scientifiques ont évolué, les réformes sont contestées, des problématiques nouvelles ont surgi, nos ressources de soins et notre faculté de soutenir les intervenants sont à enrichir. Bref, il est temps de revoir l’état des lieux.

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