Depuis des années, les passions se déchaînent dès que nous abordons le sujet épineux de la laïcité en général et des signes religieux en particulier.

Pris en otage par une instrumentalisation politique partisane et le savoir-faire des tenants de l’islam politique, le débat sur la laïcité est réduit à un va-et-vient incessant entre l’inclusion et l’exclusion d’une communauté dite musulmane et qui serait majoritairement « arabe ». En masquant sa diversité ethnoculturelle, linguistique, religieuse et la multiplicité des points de vue quant à la régulation du religieux dans différentes sphères de la société, il est aisé de taire les voix dissonantes qui remettent en question l’hégémonie arabo-musulmane et soutiennent la laïcité de l’État.

Il résulte une double polarisation qui oppose une société québécoise « areligieuse » à des communautés culturelles « exclusivement religieuses » et qui fabrique des bons et des méchants.

Les bons sont contre le projet de loi 21 et aiment les musulmans tandis que les méchants le défendent et détestent les musulmans.

Or, la réalité du terrain nous démontre que ces catégorisations sont erronées et ne sont que l’expression de l’instrumentalisation de la religion musulmane, aussi bien dans le contexte des pays d’origine qu’en Occident. Cette polarisation est un véritable levain pour les extrémistes de tous les côtés qui se légitiment mutuellement en dépassant les frontières du Québec et du Canada tout en s’y exprimant. Les tueries de Québec, de la Nouvelle-Zélande et du Sri Lanka illustrent bien la situation.

C’est dans ce contexte que la partisanerie politico-religieuse fait de l’affichage des signes religieux un enjeu de représentativité extrêmement important. En effet, l’État est un espace puissamment symbolique qui doit être préservé de toute compétition à la représentativité ou de toute surenchère identitaire. La laïcité de l’État est l’explicitation de sa neutralité et de son impartialité quant aux différences ethnico-religieuses.

La laïcité de l’État, l’ère d’une politique équitable

Moult mémoires collectives porteuses de visions du monde et de mythologies différentes se côtoient au Québec avec leurs histoires respectives dans lesquelles s’exportent les conflits comme les solidarités.

A-t-on pensé à la réaction d’une personne de confession juive qui aurait recours à des services étatiques prodigués par une personne arborant la croix gammée ou une forme qui l’évoque fortement ? Cette dernière serait complètement dans son droit, car avant d’être associée au régime nazi, elle est à l’origine un symbole religieux signifiant bonne fortune ou bien être. A-t-on pensé à un Palestinien qui se fait servir par un représentant de l’État portant la kippa ? Avons-nous pensé à un Tutsi qui se fait servir par un Hutu (s’affichant comme tel) qui arbore un magnifique sourire en disant « Bonjour/Hi » ?

Quelqu’un a-t-il pensé à une femme dont la sœur, la mère, la fille a été égorgée parce qu’elle ne portait pas le voile et qui se retrouve nez à nez avec une femme voilée qui jouit de la liberté de conscience que ses coreligionnaires lui ont refusée ? Pensons-nous même à l’islamiste qui croit profondément que l’ethnie et la langue arabes sont sacrées qui se fait servir par un Kabyle qui porte la croix des Imazighen (Hommes libres, en berbère) ou une broche à l’image de Matoub Lounès** qui lui rappelle qu’il n’est pas arabe ?

Dans ce village global qu’est devenu notre monde, il n’y a pas que le commerce matériel qui doit être équitable, mais aussi le commerce immatériel des valeurs morales qui sont au service de la vie et de l’éthique de l’altérité.

La laïcité de l’État au Québec n’est même plus l’expression d’une société qui veut préserver égoïstement l’identité québécoise.

Elle est une condition sine qua non qui rend effectives et opérationnelles la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

C’est le cadeau que nous offre cette majorité francophone qui a le sens de la communauté, du consensus, de la paix sociale et qui a le génie de faire des révolutions tranquilles.

* L’auteure étudie également en sciences des religions à l’Université de Montréal.

** Matoub Lounès est le Félix Leclerc et le Gilles Vigneault des Kabyles qui s’est mobilisé pour la laïcité et pour une Algérie meilleure et une démocratie majeure, comme il disait lui-même. Il a été assassiné par les islamistes et le pouvoir algérien. 

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