Les États-Unis ont longtemps porté un intérêt secondaire à l’Arctique. Les choses vont bientôt changer si l’on en croit le secrétaire d’État Mike Pompeo. Les Américains ont l’intention d’affirmer leur présence dans cette région au risque de choquer leurs partenaires arctiques, le Canada en premier.

Pompeo était en Finlande lundi et mardi pour la réunion annuelle du Conseil de l’Arctique, un organisme qui regroupe huit pays du cercle polaire — Canada, États-Unis, Islande, Danemark, Norvège, Finlande, Suède et Russie. Il en a profité pour bousculer tous les usages de cette organisation. Il est le premier secrétaire d’État à avoir prononcé un long discours devant ses homologues afin d’être certain que tous comprenaient bien que les États-Unis étaient de retour.

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Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, mardi en Finlande

Il a empêché la publication d’une déclaration commune, du jamais vu en 20 ans, car il n’appréciait pas les éléments de langage sur les changements climatiques. Il a ouvert les hostilités avec la Russie et la Chine sur les questions de sécurité, un sujet jamais abordé dans ce forum essentiellement consacré à la gouvernance, au sort des peuples autochtones, à l’environnement et au développement économique.

Enfin, il a contesté sans ménagement la souveraineté russe et canadienne sur les voies de passage arctiques qui longent ces deux pays.

Le nouvel intérêt de Washington pour l’Arctique trouve sa source dans les bouleversements climatiques et géopolitiques qui secouent cette région.

La fonte rapide de la calotte polaire permet d’envisager de nouvelles activités humaines. Dans quelques années, du côté canadien, le passage du Nord-Ouest pourrait être navigable en tout temps, permettant ainsi aux navires de passer d’un océan à l’autre plus rapidement que par les routes traditionnelles. Même scénario pour la route du Nord qui longe le territoire russe.

Un trafic régulier permettra aux Russes, mais aussi aux Canadiens et à d’autres pays d’investir massivement dans l’exploration, l’exploitation et le transport des abondantes richesses naturelles arctiques. Les Américains en sont bien conscients et Pompeo n’a pas manqué de le rappeler dans son discours. Nous voulons ouvrir la région à la concurrence économique, a-t-il dit, car « elle renferme 13 % de tout le pétrole encore non découvert, 30 % du gaz non découvert, une grande quantité d’uranium, de terres rares, d’or, de diamant et des millions de milles carrés de ressources inexploitées ».

Les convoitises économiques se doublent aussi d’une concurrence, pour ne pas dire d’un affrontement militaire.

Les Russes du temps de l’Union soviétique maintenaient une présence importante dans l’Arctique russe jusqu’à la chute du communisme. Les Occidentaux étaient absents du côté canadien et américain.

La donne a changé. Encore là, la fonte des glaces relance l’activité militaire en parallèle avec les activités commerciales. Avec la réhabilitation des installations de l’ère soviétique et la construction de nouvelles installations, la Russie a une longueur d’avance. Sa flotte de brise-glaces est impressionnante et éclipse toutes celles des autres nations arctiques.

Présence chinoise

Si les Américains s’inquiètent de la résurgence russe, ils redoutent encore plus la présence chinoise. La Chine, un État non arctique, a le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. L’an dernier, elle a publié un premier énoncé de politique sur ses intentions maritimes, géopolitiques et économiques dans l’Arctique. Elle ambitionne d’y être présente et de créer ni plus ni moins qu’une « route de la soie polaire ».

Pompeo a mis en garde les États arctiques sur les véritables intentions chinoises dans la région.

« L’attitude agressive de la Chine ailleurs nous donnera une idée de la manière dont elle traitera l’Arctique », a-t-il dit en faisant référence au comportement chinois dans la mer de Chine du Sud.

Mais l’agressivité est aussi une tare congénitale du comportement américain dans le monde. Les Irakiens, les Syriens, les Libyens et tous ceux qui sont bombardés chaque jour en savent quelque chose.

Le Canada à la traîne

Et les Américains ont averti les Canadiens qu’ils devront dorénavant tenir compte de leurs ambitions dans l’Arctique. Devant la ministre canadienne Chrystia Freeland, le secrétaire d’État a rappelé le caractère « illégitime », selon Washington, des prétentions canadiennes sur le passage du Nord-Ouest qu’Ottawa considère comme une voie navigable en territoire canadien.

Pour les Américains, tant le passage que la route du Nord, du côté russe, sont des voies internationales et ils n’ont pas à demander la permission pour y naviguer.

Le Canada fera bientôt face aux États-Unis sur cette question. Cet été, la marine américaine a l’intention d’envoyer un navire traverser le passage du Nord-Ouest dans le cadre d’une opération de la liberté de navigation. On verra comment Ottawa va réagir. Côté russe, Washington n’a rien annoncé, peut-être en souvenir de sa dernière incursion en 1967 où les Russes avaient menacé de couler le navire américain, le forçant à rebrousser chemin.

Jouer sur le théâtre arctique nécessite une politique et les moyens de la mettre en œuvre. Les grandes nations arctiques et la Chine ont publié leurs intentions et ne perdent pas une minute pour placer leurs pions. Le Canada reste à la traîne. Ottawa a promis en décembre 2016 un nouvel énoncé couvrant l’ensemble des questions arctiques. Il se fait attendre. Et pourtant, il est grand temps d’agir.

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Le Canada, les États-Unis, l’Islande, le Danemark, la Norvège, la Finlande, la Suède et la Russie forment le Conseil de l’Arctique.

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