J’attendais la réaction des médias libéraux à la publication du rapport Mueller. Leur réaction m’a beaucoup surpris.

Une interprétation complaisante ?

Les commentateurs ont souligné l’effet corrosif du rapport sur la présidence. Ils ont signalé que le rapport n’a pas innocenté Trump ; qu’il laisse la porte ouverte à des poursuites ; qu’il a ébranlé le président avec plusieurs condamnations parmi son entourage ; et qu’il a produit d’importants matériaux pour de futures enquêtes.

Mueller a aussi prouvé l’ingérence russe aux dernières élections et l’implication de l’équipe de Trump. D’autres informations montrent que des collaborateurs du président ont fait preuve d’éthique en refusant d’exécuter des ordres illégaux (ce qu’a bien fait ressortir le chroniqueur de La Presse Yves Boisvert).

Tous ces constats sont parfaitement fondés, comme on s’y attend de sources aussi renommées que le New York Times, le Washington Post ou CNN.

Mais l’interprétation très optimiste qui s’en dégage (« Un rapport dévastateur ») est-elle la seule possible ? En fait, on pourrait y voir une autodéfense de la part de journalistes qui se sont trompés.

Je ne suis pas un spécialiste de la vie politique américaine, je ne suis qu’un lecteur attentif. Je me rendrais donc ridicule en opposant mon interprétation à celle qui précède. Essayons tout de même, seulement par curiosité, de faire un bout de chemin en suivant une logique contraire.

Une réussite ?

D’abord, l’objectif principal (dans l’esprit de très nombreux citoyens) a été raté. Faute de preuves, Trump n’a pas été incriminé. On n’a pu établir ni collusion entre lui-même et les agents russes ni conspiration.

Le rapport ne recommande pas de poursuite pour entrave à la justice, et les incursions dans les affaires du milliardaire (dont la presse a beaucoup parlé) n’ont rien donné de concret jusqu’ici. Mais on assure que l’homme est immoral et de très gros soupçons pèsent sur lui — qui ne le savait pas ?

Les médias libéraux américains, jour après jour depuis deux ans, n’ont pas cessé de rapporter des manigances, des bassesses, de la crapulerie. Évoquant le travail très méticuleux de Mueller, ils promettaient des révélations juteuses, du sordide et de l’abject, des condamnations imminentes. Plusieurs proches collaborateurs ou ex-collaborateurs de Trump avaient décidé de coopérer avec la justice. Et ils parlaient…

Au vu de ce que l’on sait maintenant, est-ce qu’on ne s’attendrait pas à un acte d’humilité de la part de plusieurs médias ? Je crois qu’un très grand nombre de citoyens ont été extrêmement déçus du peu qu’a livré cette gigantesque entreprise policière, judiciaire et médiatique.

Des institutions à toute épreuve ?

Des experts ont vanté l’admirable sagesse des institutions politiques américaines en raison de leur mécanique des contre-pouvoirs. Elle offrirait la meilleure garantie qui soit contre les dérapages dans l’exercice de l’autorité politique. Et on la verrait précisément à l’œuvre actuellement. Le contraire me paraît tout aussi vraisemblable.

On peut s’étonner de la somme d’abus auxquels ce président a pu s’adonner sans être beaucoup embêté.

Il a bafoué le corps diplomatique, humilié les systèmes de renseignement, détruit de vieilles alliances, s’est livré à des chantages odieux (notamment dans l’intérêt de son « mur », qu’il va finalement construire malgré l’opposition de la Chambre des représentants et du Sénat). Il refuse de dévoiler ses finances personnelles et son dossier fiscal, oriente la politique extérieure en fonction des intérêts de sa famille, courtise les despotes, s’emploie à défaire l’Obamacare, soumet les enfants d’immigrants à un traitement inhumain, entend généraliser le port des armes, tient des propos ambigus sur les racistes, abat les protections environnementales (l’ex-président d’un club de chasse chargé de la protection de la faune ?) et vient d’envoyer promener la Chambre des représentants. Pour finir, il fait diffuser un rapport soigneusement caviardé.

Un élu républicain : « Il n’existe plus de règles à Washington. »

La vengeance du juste…

Le prix à payer risque d’être lourd. Le vice, déguisé en vertu, est remis en selle. Se posant en victime, l’Ignoble pavoise. Il pourra mettre encore plus de désordre dans la vie publique, continuer à saccager les règles d’éthique, semer partout le cynisme, jeter encore plus de confusion dans l’opinion, multiplier les contre-enquêtes bidon et les poursuites les plus tordues qui vont mettre ses opposants sur la défensive. La vengeance est sa nouvelle croisade.

L’économie va bien, la destitution apparemment attendra. Sa réélection paraît subitement moins improbable — son taux d’approbation est en hausse à 49 % (en date de mardi). Suis-je complètement dans le champ ?

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