Le projet de loi 21 est une punition imposée à l’autre pour la crainte qu’il évoque.

Crainte et châtiment

« Tu me mets mal à l’aise. Tu me fais redouter l’avenir et douter de mon identité. Cela n’est pas acceptable. Fais-toi petit. Évite de m’intimider. Ne te présente pas à moi en position d’autorité. » Voilà ce que le projet de loi 21 dit à l’autre.

La peur est mauvaise conseillère ; or, c’est bien elle qui est sous-jacente au projet de loi 21. La peur se traduit souvent en agressivité ; le projet de loi 21 en est l’exemple.

Les craintes des électeurs de la Coalition avenir Québec ne sont pas toutes sans fondements. L’immigration est un souci, car elle change la société hôte ; ce changement doit être bien géré. Le rigorisme religieux est contradictoire à l’esprit du libéralisme ; il doit être surveillé, ses excès condamnés.

N’empêche que le projet de loi 21 est une réponse erronée à des craintes justifiées et une réaction malsaine à des craintes sans fondements.

Sa première cible est la femme musulmane qui s’intègre dans notre société et fait don de soi dans l’enseignement. Pourquoi faire d’elle le bouc émissaire de notre volonté de fonder une société plus tolérante ?

De manière plus générale, le projet de loi vise des hommes et des femmes croyants qui veulent contribuer au bon fonctionnement de nos institutions et pratiquer des professions bien réglementées.

J’ai grandi parmi des juifs religieux. Je sais pertinemment que celui qui porte une kippa sur la tête en exerçant le métier de juge ou d’instituteur ne le fait pas pour montrer sa religion à l’autre, mais pour signifier son propre rapport au divin. Je sais que quand il siège dans un tribunal ou se tient debout devant une classe, c’est en tant que juge ou instituteur et non en tant que juif.

Je sais aussi que tout professionnel est tenu d’être objectif et impartial et que les préjugés les plus dangereux sont ceux qu’aucun signe extérieur ne viendrait exprimer. Je sais que le contrat social qui unit le professionnel à son client est basé sur la confiance, non sur la méfiance.

Ceci est un principe que j’essaie d’impartir dans mon enseignement. Je forme des professionnels, c’est-à-dire des individus qui agissent de manière responsable dans l’utilisation du pouvoir discrétionnaire qui leur est donné, des individus qui suivent un code de déontologie, des individus qui savent mettre de côté leurs allégeances politiques, culturelles ou religieuses pour promouvoir le bien commun et répondre aux besoins de la population.

Le gouvernement fait fausse route dans son projet de loi. Au lieu de brimer les libertés individuelles et d’enfreindre nos droits fondamentaux, il devrait s’attaquer aux extrémismes de toutes sortes et se soucier des prêches, tracts et tweets incendiaires. 

Au lieu de faire de la femme en foulard une suspecte, il devrait s’opposer aux contraventions de tous genres à l’égalité des sexes. Au lieu de définir l’homme en kippa ou en turban comme une menace, il devrait favoriser l’intégration des membres de minorités visibles dans nos services publics et nos entreprises.

Une loi n’est pas légitime si, dans son atteinte aux droits individuels, elle ne répond pas à un danger ou à un besoin réel.

Elle n’est pas justifiée si elle a pour but de mettre les gens à l’aise face à ce qui leur est étranger. À la méconnaissance et la méfiance de l’autre, un gouvernement ne doit pas répondre par un surcroît de discrimination, mais par un supplément d’enseignement et par la promotion du vivre-ensemble.

Le projet de loi 21 est un aveu de faiblesse intellectuelle et morale. Au lieu d’outiller les Québécois à répondre aux défis du moment, il répond de manière répressive au sentiment de crainte diffus que le changement suscite dans une partie de la population. Il doit être retiré.

* Raphaël Fischler s’exprime exclusivement en son nom personnel.

Comment répondre à Charles Taylor

Le professeur et philosophe Charles Taylor a soumis à la discussion publique un argument qui a été repris par plusieurs intervenants dans le débat sur le projet de loi 21 du gouvernement Legault.

Cette idée proclame que c’est l’État qui doit être laïque et non ses représentants, autrement dit que les institutions sont laïques et que le personnel de ces institutions conserve le droit de manifester, pendant le travail, ses convictions religieuses par des signes ostentatoires. Cette assertion péremptoire semble, à première vue, respecter la logique, mais si on fouille un peu, on peut se demander si elle passe le test du réel.

Ce raisonnement pèche par un formalisme qui déforme les faits. Concrètement, que veut dire la distinction entre l’école et l’institution ? Convenons que l’institution scolaire se concrétise par une Loi sur l’instruction publique. Cette loi annonce l’école, mais elle n’est pas l’école. Elle n’en est que la prémisse. Convenons que le régime pédagogique concrétise aussi l’idée de l’école. Le régime pédagogique organise l’école, mais il n’est pas encore l’école, il n’en est qu’une condition. Évidemment, la bâtisse n’est pas l’école, elle constitue, bien sûr, un prérequis souhaitable à sa mission, mais l’enseignement pourrait à la limite se donner à l’air libre. La Loi sur l’instruction publique, le régime pédagogique et la bâtisse, ensemble, ne sont toujours pas l’école. L’école est essentiellement l’union des élèves et des profs. Inséparables. Pas d’école sans les élèves et pas d’école sans les profs.

Le sectionnement du concept d’école, découpé comme un saucisson, est un tour de passe-passe qui permet de s’afficher en faveur de la laïcité, alors qu’on est profondément contre.

L’école publique, dans les faits, comprend tous les aspects cités plus haut et si elle doit être laïque, elle le sera dans sa totalité.

On ne peut déclarer que certaines parties du concept d’école, certaines rondelles de la saucisse, dirais-je, sont laïques alors que d’autres ne le seraient pas. Cet argument est fautif et il obscurcit le débat dans la mesure où on ne sait plus de quoi il s’agit quand on parle de l’institution scolaire. Celle-ci n’est pas autre chose que l’école qui unit de manière indissociable les élèves, les enseignants, la loi, le régime pédagogique et la bâtisse. Et si cette institution est déclarée laïque par la loi, les maîtres d’école s’abstiendront de porter des manifestations ostentatoires de leur conviction religieuse.

La distinction entre institution et école n’existe pas ; c’est une formule creuse pour refuser au niveau scolaire la séparation effective de l’Église et de l’État. L’enjeu du débat posé par le projet de loi 21 dans l’institution scolaire n’est pas entre une laïcité, dite ouverte, et une laïcité dure. Il est de savoir si oui ou non l’école publique sera laïque. Point.

La laïcité ouverte refuse la nécessité d’une école laïque ; la loi 21 veut une école publique et laïque, une école qui soude le personnel de l’institution et les élèves contre toutes les discriminations, tous les particularismes, toutes les allégeances, qu’elles soient de nature religieuse ou politique, qui peuvent mettre en question la réussite de la transmission du savoir.

Si on veut la laïcité, aujourd’hui au Québec, on veut le projet de loi 21.

Le débat sur la laïcité n’est pas d’abord un débat d’idées ; c’est un débat qui s’inscrit dans l’histoire vécue de la société québécoise. C’est nécessairement un débat complexe, long et difficile. Il s’est tenu depuis 50 ans dans le respect des institutions démocratiques et dans le respect tout court. Il ne tolère pas les menaces et les insultes qui camouflent les intentions.

La commission parlementaire fera son devoir et les points de vue se feront entendre, et c’est bien. Le projet de loi 21 voté, nous entrerons dans une nouvelle période de notre histoire démocratique qui laisse la porte ouverte aux ajustements et aux améliorations que la société décidera.

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