Le 24 décembre 2018 était une journée splendide. C’était l’exception qui fait la règle : la plupart du temps, les hivers aux Pays-Bas sont maussades, gris et humides. En choisissant de passer Noël dans mon pays natal, nous avions pris un risque et Dame Nature nous souriait.

Nous avions un rendez-vous pour le réveillon avec une amie de longue date, qui habite Zutphen, une petite ville médiévale située le long de l’IJssel, la branche du Rhin qui mène vers le nord. Depuis le XIIe siècle, cette situation géographique a permis à Zutphen de devenir riche, par sa participation à la Hanse, une association de villes du nord de l’Europe favorisant les échanges commerciaux.

Notre hôtel occupait la médiévale Cour des comtes de la région. Dans le restaurant, nous partagions un excellent souper de gibier, comme il se doit à la fin de l’automne. Arrivés au dessert, nous avons entendu sonner les cloches de l’église juste en face, la Sainte-Walburge, appelant les fidèles pour la messe de minuit, pensions-nous. À notre arrivée, nous avions remarqué cet édifice splendide dont les débuts datent du XIe siècle. Pourquoi n’irions-nous pas ?

Il y avait du monde : la place devant l’église était remplie de bicyclettes. Une fois entrés, nous avons compris que le service religieux était protestant : lors de la réforme du XVIe siècle, la ville et ses habitants se sont convertis en bloc. Comme partout ailleurs, ils ont gardé l’église existante comme lieu de culte. Évidemment, les éléments catholiques tels les effigies des saints, l’autel et la plupart des autres ornements ont disparu. Toutefois, l’église a gardé son élégance gothique, sa taille impressionnante et son nom, pourtant celle d’une femme canonisée par Rome pour ses efforts de conversion à la religion chrétienne des Francs en Allemagne au VIIIe siècle.

L’église était bien chauffée. Nous y avons trouvé une bonne place près de la chorale, devant l’orgue majestueux du XVIIe siècle, et nous avons chanté les chansons de Noël de ma jeunesse, parfois les mêmes que l’on chante au Québec, mais avec des paroles différentes.

Puis, est venu le temps de l’homélie. Le pasteur était une jeune dame, habillée d’une toge élégante. Elle souhaitait la bienvenue à la congrégation et plus spécialement à ceux qui étaient venus de loin. Évidemment, comme il se doit, son texte traitait des pérégrinations de Joseph et Marie qui avaient à se déplacer loin de leur foyer à Nazareth et qui ne trouvaient pas de place pour se loger à Bethléem. La référence aux réfugiés politiques, si nombreux en Europe de l’Ouest, semblait évidente. Aux Pays-Bas, comme partout ailleurs, l’accueil des étrangers ne fait pas l’unanimité.

Au Québec aussi, l’année 2019 a été dominée par le thème de l’immigration, ce qui ne surprenait pas après les élections de 2018.

La sélection des immigrants, leur nombre, leur francisation et leur intégration à la société et au marché du travail ont été le sujet de multiples débats politiques, sociaux et médiatiques. Le nouveau gouvernement a réussi à faire adopter plusieurs mesures et, en passant, en a raté quelques-unes.

Deux catégories d’immigrants dont le Québec ne contrôle ni l’arrivée ni l’intégration sont plus ou moins passées sous le radar : ceux qui profitent de la réunification de famille, soit un grand groupe parmi les immigrants reçus, et les réfugiés politiques. Pourtant, souvenons-nous comment, en 2016, nous étions fiers de l’accueil au Canada de 25 000 réfugiés syriens, dont le tiers au Québec. Les efforts des citoyens, notamment des communautés syriennes, ont fait en sorte qu’ils ont pu trouver leur place parmi nous.

Or, sur une échelle mondiale, le nombre de réfugiés reçus au Canada est négligeable : on y comptait 55 000 demandeurs d’asile en 2018, sur 1,4 million de réfugiés ayant besoin d’une réinstallation. Comparez ça avec la Grèce et l’Europe de l’Ouest, où l’on compte les réfugiés en centaines de milliers par année, ou encore avec la Turquie qui en héberge 3,4 millions !

> Lisez un article sur les données des réfugiés en 2018

La cause de cet écart n’est pas notre volonté, mais plutôt notre situation géographique. Le Canada, ayant son seul voisin au sud qui protège ses frontières de façon très serrée, ne risque pas de voir de grands groupes de victimes des conflits mondiaux arriver sur son territoire. Les radeaux libyens ne se dirigeront pas vers le Canada, à l’instar des réfugiés d’Amérique centrale. Le Canada est ainsi dans la situation où il peut sélectionner des demandeurs d’asile vivant loin de son territoire. La seule exception est le chemin Roxham, qui attire l’attention en l’absence d’autres vagues de réfugiés. Or, en 2018, seulement un tiers du petit nombre de réfugiés au Canada est entré au pays de façon irrégulière.

La bonne nouvelle, c’est que, toujours en 2018, le Canada a accepté 28 000 réfugiés et que 18 000 demandeurs acceptés antérieurement ont obtenu la citoyenneté. Cela reflète un taux élevé d’intégration sociale. Sommes-nous comme les citoyens de Bethléem, où les aubergistes prétendaient ne plus avoir de chambre, mais où les bergers prenaient soin des voyageurs en détresse ?

Revenons à Zutphen où, après la fin du service religieux, la congrégation se retrouvait dans le fond de l’église. Minuit approchait et on nous servait un verre de vin chaud. Le pasteur avait enlevé sa toge et je l’ai remerciée pour avoir souhaité la bienvenue à ceux venus de loin, en me présentant comme étant un visiteur venu de Montréal. Au lieu d’être impressionnée de ce fait, elle m’a répondu que ses propos visaient plutôt ceux qui étaient arrivés à bicyclette de Lochem, un village à 15 km de Zutphen. Les intentions nobles que j’avais prêtées à son discours ont malheureusement été réduites à une peau de chagrin.

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