Donald Trump a été élu président des États-Unis en 2016, car il a réussi à reprendre les États autrefois résolument bleus démocrates de la Rust Belt que sont la Pennsylvanie, l’Ohio, le Michigan et le Wisconsin.

Il était soutenu par des régions désindustrialisées qui avaient voté deux fois pour Barack Obama. Même les ménages syndiqués de l’Ohio, qui avaient voté pour Obama dans une proportion de 23 % en 2012, ont donné à Trump une avance de 9 % quatre ans plus tard. Aux yeux de ces électeurs, celui-ci présentait un attrait principalement économique.

Dans tous les discours de sa campagne de 2016, Trump s’est acharné sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qu’il accusait d’avoir sacrifié des emplois du secteur manufacturier américain. Et il a raison sur ce point. Selon une étude parue en 2010, 700 000 emplois industriels ont été supprimés aux États-Unis en raison de l’ALENA tandis que des entreprises ont déplacé leur production vers des régions où les salaires étaient plus bas, au Mexique ou à l’étranger. « L’obsession du libre marché de l’Amérique a permis aux exportations étrangères de pénétrer le marché de façon extrême sans aucune compensation », a conclu l’historienne Judith Stein.

La priorité que Trump accordait aux échanges commerciaux contrastait avec la position des démocrates. La vieille coalition formée autour du New Deal de Franklin D. Roosevelt, axée sur la redistribution économique, s’est atrophiée à partir des années 1960 et a péri par la suite. Avec le temps, le libéralisme américain s’est vu définir en termes de race plutôt que de classe. Résultat, l’administration Carter a combattu l’inflation plutôt que le chômage dans les années 1970, tout comme Obama a renfloué les banquiers plutôt que les propriétaires en 2007. De John F. Kennedy à Barack Obama, les démocrates se sont faits les champions du libre-échange. Ainsi, Bill Clinton – prophète du postindustrialisme du Parti démocrate – a conclu le tout premier accord de l’ALENA, tandis qu’Obama a tenté de faire entériner le Partenariat transpacifique.

Bien que les libéraux de la classe moyenne considèrent qu’il est immoral de traiter les personnes dissemblablement en raison de leur genre, de leur race ou de leur sexualité, ils n’estiment pas que les inégalités de classe sont injustes.

L’illusion de la méritocratie favorise le genre de moralisation qui tient les personnes responsables de leur propre marginalisation économique et sociale.

Comme l’affirme l’historien Thomas Frank dans sa critique cinglante du libéralisme de la classe moyenne américaine, il n’y a aucune solidarité dans une méritocratie : « Pour les professionnels qui réussissent, la méritocratie est une doctrine admirablement intéressée qui leur donne droit à toutes sortes de récompenses et de prestiges parce qu’ils sont plus intelligents que les autres. » Par ailleurs, cette mentalité laisse beaucoup de gens pour compte et permet l’ascension de personnes comme Donald Trump.

Le triomphe de Trump

Les renégociations finales du nouvel Accord de libre-échange nord-américain qui se sont déroulées cette semaine marquent la victoire pour les travailleurs américains. Elles constituent également un triomphe politique pour Donald Trump. Pour bénéficier d’un accès en franchise de droits selon les termes du nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), les constructeurs d’automobiles doivent maintenant utiliser 75 % de composants de provenance nord-américaine (en hausse comparativement à 62,5 %), et au moins 40 % de la fabrication doit être effectuée par des travailleurs qui gagnent au moins 16 $ (US) l’heure. Par ailleurs, de nouveaux mécanismes d’application sont en place pour garantir que les règles plus strictes sont suivies au Mexique. En conséquence, le pacte relève les normes du travail plutôt que de les abaisser.

Même l’AFL-CIO autrefois si puissant appuie maintenant cet accord.

Bien que le Congrès – contrôlé par les démocrates – ait pu imposer d’autres changements, entre autres de retirer des concessions accordées aux géants de l’industrie pharmaceutique, le nouvel accord est surtout le fruit du travail de Trump. À ce titre, l’ALENA 2.0 représente la pierre angulaire de sa stratégie de réélection pour 2020.

Fort de cet accord, il pourra regagner la Rust Belt et dire qu’il a été à la hauteur. Ce plan a toutes les chances de réussir.

Mais il se peut que le phénomène auquel nous assistons aujourd’hui soit d’une tout autre envergure. Tout comme le Parti républicain de Richard Nixon a exploité le ressentiment racial et de classe dans le sud des États-Unis au cours des années 1970 dans le cadre de sa stratégie sudiste bien connue, et ainsi rendu cette région rouge républicaine pendant une génération, Trump met en œuvre la même tactique dans le Midwest. Si la classe ouvrière blanche du Nord, qui s’est avérée essentielle pour le Parti démocrate depuis le New Deal, redevient républicaine, cela pourrait consolider un réalignement crucial de la politique américaine.

À ce chapitre, les États-Unis n’ont rien d’exceptionnel. Dans toute l’Europe, les régions désindustrialisées – où le sentiment de colère et de trahison est exacerbé – versent dans le populisme de droite comme en Angleterre cette semaine. Des fractures politiques semblables se dessinent aussi au Canada. Après tout, c’est bien Trump – et non pas Trudeau – qui a exigé de rouvrir l’ALENA pour améliorer les normes du travail.

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