En réponse à la chronique d’Yves Boisvert sur la pertinence médicale, « Pertinence, je crie ton nom ! », publiée le 14 décembre

Encore une fois, vous touchez un sujet très important, mais je crois que n’étant pas du milieu médical, vous ne saisissez pas entièrement l’enjeu et ce qui le cause.

Je ne remets pas en doute le fait qu’il y a un certain nombre de médecins qui « surfacturent » ou font de la « facturation créative ». À cet égard, sachez que beaucoup de médecins, moi y compris, sont bien heureux lorsque nous voyons la Régie de l’assurance maladie du Québec inspecter ces individus à la morale flexible.

Mais un enjeu bien plus grand est la pertinence des soins et des examens diagnostiques. Sur ce point, vous donnez uniquement l’angle voulant qu’il s’agisse d’un phénomène attribuable aux médecins, mais je trouve cela très réducteur et très peu conscient de notre réalité de pratique.

Vous oubliez au moins deux facteurs très importants qui exacerbent la multiplication de ces examens ou soins médicaux qui ne sont pas justifiés médicalement ou soutenus par des évidences scientifiques.

Premièrement, nous sommes les voisins nordiques des Américains, champions incontestés de la médicalisation à outrance de tout problème de santé.

Comme vous le savez, la médecine aux États-Unis est une business où chaque examen utile ou non est une source de revenus pour un hôpital. Chaque patient qui consulte un médecin aux États-Unis est une source potentielle de revenus qu’il faut maximiser. 

Par ailleurs, ils ont aussi les avocats les plus actifs au monde quand vient le temps d’engager des poursuites pour faute médicale. Cela ajoute donc une pression additionnelle pour demander une multitude d’examens de façon défensive pour se protéger contre d’éventuelles poursuites.

Comme une proportion importante de médecins canadiens vont faire des surspécialisations (fellow) aux États-Unis, ils ramènent ce « standard » de pratique au Canada.

Les patients qui ont déjà été soignés au sud de la frontière s’attendent aussi, de plus en plus, à faire une multitude d’examens et de tests lorsqu’ils consultent ; autrement, ils ont l’impression qu’on ne s’occupe pas d’eux si des examens ne sont pas demandés.

Des patients exigeants

Ce qui m’amène au phénomène principal pour lequel je vous ai écrit. Très souvent, comme médecin, nous faisons face à des patients qui demandent ou exigent des examens ou des procédures médicaux.

Dès notre cours de médecine, nous sommes maintenant sensibilisés au concept de la pertinence des examens médicaux. Nous recevons aussi un excellent enseignement sur le concept de médecine basé sur les évidences, dont les pionniers de cette approche sont d’ailleurs canadiens (Université McMaster).

Une grande proportion de jeunes médecins qui terminent leurs études sont déjà très sensibilisés au fait qu’il faut limiter les examens à ceux qui ont une réelle pertinence diagnostique ou qui auront un impact sur la suite d’un traitement. Mais cette vision idéaliste est rapidement confrontée aux patients de notre époque.

En effet, un défi quotidien dans ma pratique de chirurgien orthopédique est d’expliquer ad nauseam que je ne recommande pas une intervention chirurgicale pour les douleurs que mes patients ressentent. Une grande proportion de problèmes de douleurs musculo-squelettiques est en lien avec les habitudes de vie des gens.

L’obésité est fortement associée à l’arthrose de genou. La sédentarité et les « sportifs du dimanche » sont fortement associés aux tendinites et aux bursites. Le travail répétitif, mais aussi le sport unique et répétitif (par opposition aux sports variés) sont aussi fortement associés aux tendinites de toutes sortes.

Mais vous n’avez pas idée du défi que représente le fait de voir arriver un patient après l’autre dans notre bureau en demandant un autre examen, en espérant ou même fréquemment en exigeant une intervention chirurgicale, un quick fix à leur problème.

À ce moment commence la tâche fastidieuse d’expliquer qu’un examen additionnel n’apportera pas de lumière additionnelle. Que votre tendinopathie de la coiffe des rotateurs ou d’accrochage d’épaule n’est pas en lien avec une opération qu’il faut faire dans votre épaule, mais plutôt avec de mauvaises habitudes posturales et de mouvements, à des muscles autour des omoplates déconditionnés. Qu’il ne s’agit pas d’un problème qu’on peut régler avec un bistouri, mais qu’il faut plutôt changer son mode de vie. Tout cela avec études à l’appui, articles fournis aux patients, etc.

Vous n’avez pas idée de l’insistance des patients malgré tout ce discours, de la frustration que nos patients nous témoignent régulièrement dans notre bureau, malgré tous les gants de velours utilisés pour passer notre message.

Nous avons droit à des patients fâchés, en pleurs, des demandes agressives de deuxième opinion. Combien de fois j’ai entendu : « Mais docteur, vous ne comprenez pas, j’ai mal ! »

Nous avons beau démontrer de l’empathie et revenir sur le fait que toutes les études ne soutiennent pas un examen ou une intervention chirurgicale pour remédier à son problème, parfois, souvent, je dois admettre que la seule façon de sortir notre patient de notre bureau est de remplir la requête d’examen qu’il exige ou de remplir une requête opératoire.

Personne ne veut changer ses habitudes

Et n’allez pas penser qu’il s’agit d’un phénomène marginal. Vous n’avez qu’à regarder dans la rue pour constater que les gens ne sont pas prêts à changer leur mode de vie ou leurs habitudes néfastes. Malgré tous les messages que nous recevons, nous n’avons jamais été un peuple aussi sédentaire, aussi obèse. Même le tabagisme, qui a diminué, est encore fortement présent.

Les gens ne veulent pas faire l’effort de changer leurs habitudes. Ils veulent une pilule, une piqûre et souvent, en ce qui concerne ma pratique, une opération, un bistouri pour traiter leur douleur, même si on leur dit qu’ils pourraient éviter tout ça en se prenant en main.

J’ai la forte perception que la surmédicalisation de tous nos problèmes et bobos est bien davantage en lien avec les exigences et les attentes de nos patients ou les craintes médico-légales plutôt qu’un problème de médecins qui veulent faire plus d’actes médicaux pour faire davantage d’argent.

Ce dernier phénomène existe réellement, mais il ne faut pas oublier qu’au Québec, si je prends exemple de ma spécialité en orthopédie, nous n’avons pas besoin d’inventer des raisons d’opérer des patients. Nos listes d’attente sont déjà pleines.

Je n’ai aucun incitatif financier à charcuter inutilement un patient qui ne sera pas en meilleur état par la suite.

Je devrai suivre ad vitam æternam ce patient qui continue d’avoir mal et qui désespère. Je ne suis pas rémunéré davantage si j’ai 300 patients sur ma liste d’attente chirurgicale plutôt que 150…

J’apprécierais donc entendre parfois, après plusieurs années de doctor-bashing dans les médias, un revers de la médaille. Entendre parfois que les médecins tentent de changer pour le mieux le système.

Il est vrai qu’il existe un lot de médecins dont je ne peux me porter défenseur de leur éthique de pratique, mais cela existe aussi dans tous les corps de métier (avocats véreux, policier corrompus, ingénieurs qui facturent des extras, etc.). Et je pense honnêtement que, toutes proportions gardées, les médecins québécois n’ont pas moins d’éthique que les autres corps de métier.

Ça nous ferait du bien, parfois, de lire autre chose que des articles sur les méchants docteurs…

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