À cette période de l’année, on me demande souvent de commenter la tuerie de l’École Polytechnique, où 14 femmes ont été assassinées par un tireur qui les a prises pour cibles parce qu’elles étaient des femmes. Soyons clairs : parce qu’elles étaient des femmes qui voulaient devenir ingénieures.

Trente ans plus tard, cette phrase choque toujours.

Je faisais certainement partie de cette cohorte de jeunes femmes ingénieures que le massacre de Polytechnique a à la fois marquées et changées. À l’époque, je venais tout juste de terminer mon doctorat en génie du bâtiment à l’Université Concordia, non loin de Polytechnique.

J’étais visée.

Depuis 30 ans, j’offre une réflexion mesurée et positive sur le sujet. Je souligne que la tragédie a inspiré PolySeSouvient, groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes et la Fondation commémorative du génie canadien, qui a remis plus de 800 bourses d’études à des femmes. Le massacre a donné lieu à la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes au Québec et au Canada, ainsi qu’à la campagne 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes des Nations unies. La Canadian Coalition of Women in Engineering, Science, Trades and Technology a vu le jour en 1992, tout comme la Canadian Association for Girls in Science.

Certes, les choses ont bougé, mais qu’avons-nous accompli ? Bien trop peu.

L’écart entre les sexes est décourageant : au Canada, moins de 20 % des diplômes de premier cycle en génie ont été décernés à des femmes, et seulement 13 % des ingénieurs en exercice étaient des femmes.

En ce triste anniversaire, je mets de côté mes propos modérés – ces phrases soigneusement formulées pour ne pas nous aliéner les hommes que nous devons rallier à notre cause.

Je choisis cette approche parce que des femmes ingénieures me disent que leurs idées ne reçoivent toujours pas autant d’attention que celles des hommes au travail.

Parce que j’entends encore des femmes me confier que leurs parents les ont découragées de faire une demande d’admission à une école de génie.

Parce que bien des diplômées quittent la profession après avoir été fréquemment et subtilement pénalisées par le boys club qui y règne.

Parce que cela m’exaspère que des patrons s’inquiètent ouvertement du fait qu’une femme pourrait partir pour avoir un enfant alors qu’un homme pourrait tout aussi facilement quitter ses fonctions pour occuper un autre poste. Pourtant, ce second scénario est toléré et considéré comme le prix à payer pour avoir des employés (masculins) ambitieux.

Un changement de culture s’impose.

L’inégalité des sexes doit être reconnue non plus comme un « enjeu féminin », mais comme un enjeu social, et les professions exercées exclusivement ou principalement par un seul sexe doivent devenir chose du passé.

Un rapport d’Ingénieurs Canada prévoit une pénurie d’ingénieurs au pays. Le moment est donc crucial pour accueillir les femmes dans les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) en instaurant une culture plus inclusive.

Afin de contrer la pénurie prévue, j’invite les leaders de l’industrie et de la communauté d’affaires à s’engager, eux aussi, à combler l’écart entre les sexes et à encourager la diversité en génie.

Le 6 décembre renforce ma détermination à favoriser la guérison par l’action et à briser les chaînes de la tradition.

Nous tourner vers l’avenir

La question la plus pressante est l’avènement de la quatrième révolution industrielle. Cette prochaine vague d’automatisation axée sur les mégadonnées, l’intelligence artificielle et l’internet des objets marquera le début d’une nouvelle ère.

Sans une représentation adéquate des femmes et des minorités en génie et en informatique, une partie de la population sera laissée pour compte et le monde continuera d’être pensé par les hommes et pour les hommes.

Une étudiante en génie m’a récemment parlé d’un stage où elle ne pouvait pas actionner un dispositif de commande, car il était trop gros pour sa main. Ces choses continueront à se produire à une échelle plus dévastatrice à moins qu’on ne fasse un changement de culture. Je suis encouragée par l’initiative 30 en 30 d’Ingénieurs Canada, qui vise à faire en sorte que 30 % des nouveaux ingénieurs soient des femmes en 2030. L’union fait la force.

Et nous en aurons besoin.

En effet, la quatrième révolution industrielle est en marche, qu’on atteigne l’objectif de 30 en 30 ou non.

Les femmes devraient avoir une place à la table – ou plutôt de nombreuses places – et jouer un rôle dans la conception et la réalisation de cette table. Il se peut même qu’elles soient parfois enceintes pendant qu’elles y travaillent.

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