Cette lettre est une synthèse du mémoire de maîtrise en droit public obtenue par l’auteur à la London School of Economics and Political Science en 2019.

Après des années de débats houleux, le Québec s’est doté d’une Loi sur la laïcité de l’État qui reconnaît désormais en droit l’importance de la laïcité dans la vie nationale.

Ainsi, l’État québécois affirme une vision du vivre-ensemble à l’opposé du multiculturalisme libéral qui ne reconnaît pas de droits ou d’intérêts collectifs. Pour cela, le Québec fait figure de village gaulois en Amérique du Nord.

Vue de Winnipeg, la nation québécoise serait repliée sur elle-même et hostile à la diversité. Toutefois, l’ouverture et le respect de la diversité idéologique peuvent également justifier que le Québec se dote d’une vision du vivre-ensemble qui corresponde à sa réalité qui est unique sur le continent. En lien avec les derniers recours devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec, il est intéressant de prendre un certain recul pour examiner comment les tribunaux européens ont fait évoluer la doctrine juridique sur cet enjeu.

Le multiculturalisme repose sur l’idée libérale voulant qu’un État, qui n’est que la somme de ses citoyens, n’ait pas de légitimité pour définir l’identité nationale et pour assurer la cohésion sociale.

Or, la laïcité, tout comme l’interculturalisme, suppose que l’État peut organiser, de façon proactive, la vie collective.

De là, les droits individuels, sacralisés par un État multiculturaliste, peuvent être balancés avec des intérêts collectifs nationaux.

Aucune de ces approches n’est parfaite ou destinée à être implantée universellement. Cependant, les réalités nationales peuvent rendre une de ces approches plus pertinente concrètement. Puisque le Québec est une nation dont la survie, précaire, s’assure au moyen de normes et d’institutions collectives, la laïcité s’inscrit dans une démarche historique qui contribue à ce que l’État puisse assurer la cohésion nationale.

Divergence fondamentale

Alors que le Canada moderne n’a pas d’identité substantive, une divergence fondamentale émerge entre le Québec et le reste du pays sur l’importance du collectif. Réalistement, imposer la laïcité dans l’ensemble du Canada serait tout aussi saugrenu qu’imposer le multiculturalisme au Québec. Compte tenu des différences relatives aux structures juridiques et sociologiques de ces sociétés, des approches différentes relativement à l’aménagement de la vie collective sont souhaitables.

La reconnaissance formelle de la laïcité québécoise dans la Constitution canadienne constituerait la solution optimale, mais le manque d’appétit pour des réformes constitutionnelles la rend peu envisageable à court terme. Toutefois, même sans démarche constituante, la Cour d’appel du Québec, comme la Cour suprême, pourrait permettre cette reconnaissance.

En réalité, la Cour suprême constitue le plus haut tribunal d’une fédération plurinationale dont les entités fédérale et fédérées sont juridiquement égales. En cas de conflit, cette institution doit concilier l’unité de l’État et la diversité des entités qui le composent. Concrètement, la Cour suprême devrait importer de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le concept de « marge d’appréciation ». Ce concept garantirait simultanément la liberté du Québec, en cohérence avec l’idée fédérale, de définir son modèle de vivre-ensemble avec la protection substantive des libertés individuelles.

Certes, contrairement à la Cour suprême canadienne, la CEDH a juridiction sur les États souverains qui sont membres du Conseil de l’Europe. Puisqu’elle n’est pas l’institution judiciaire d’un État souverain, elle doit accepter davantage que les États divergent quant à leur appréciation de leur rôle dans la vie nationale. C’est dans cette perspective déférente qu’elle a reconnu qu’un État peut limiter la liberté de manifester des croyances religieuses si cela est nécessaire pour préserver un ordre public national.

Concrètement, si un citoyen a la liberté absolue d’avoir des croyances religieuses au-delà des jugements de valeur que l’État pourrait porter sur celles-ci, l’État peut limiter des manifestations de ces croyances lorsque cela est nécessaire pour protéger un intérêt collectif réel. Notamment, la CEDH a jugé justifiées les interdictions du port du voile intégral dans l’espace public (S.A.S. c. France) et du port de symboles religieux par les enseignants (Dahlab c. Suisse) et par les étudiants (Sahin c. Turquie).

Ces interdictions ont été jugées légitimes pour assurer la cohésion sociale et pour réduire les tensions interreligieuses.

Certes, la CEDH, qui s’appuie sur une marge d’appréciation des réalités et des volontés nationales, ne juge pas la pertinence de ces mesures dans l’absolu. Or, elle reconnaît la nécessité de la marge d’appréciation afin de balancer, avec rigueur et légitimité, intérêt national et libertés religieuses. Une telle reconnaissance est également nécessaire au Canada alors que le Québec a une réalité nationale qui rend la laïcité plus appropriée que le multiculturalisme pour assurer la cohésion sociale.

Ainsi, alors que le Canada se définit comme une fédération qui valorise la diversité, son ouverture à la reconnaissance de la laïcité québécoise constitue un test. À l’image de la jurisprudence européenne, pour que les Québécois se sentent réellement libres de faire des choix nationaux en son sein, une marge d’appréciation fédérative s’avère aussi pertinente qu’appropriée dans le contexte canadien.

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