Une fois par mois, un camelot de L’Itinéraire se joint à Débats pour se raconter, critiquer, s’insurger. Ce texte du camelot Jean-Paul Lebel fait partie d’une série intitulée « Où étais-tu il y a 25 ans ? » parue dans l’édition spéciale du 25anniversaire de L’Itinéraire, publiée le 1er  septembre 2019

Moé, j’étais dans rue, sans but, sans vie, ni logis, sans support ni apport (moral ou affectif). Rendu là, t’es tellement bas, à terre et démoli, que même avec une blonde pis des amis, dans la consommation, tout le monde se crisse de toute, même de sa propre vie.

En 1994, je me suis séparé de Sandra, la mère de mes deux premières filles, Roxanne et Brenda. Après la séparation, ça allait assez bien. Je travaillais entre les lave-autos et la construction. Je voyais mes filles toutes les fins de semaine. Et j’avais une bonne relation avec mon ex.

En 1996-1997, Sandra fut contrainte de déménager au Nouveau-Brunswick avec mes deux filles.

Ça m’a mis à terre, car je ne voyais plus mes enfants. J’ai fait une dépression et j’ai tout lâché.

J’ai commencé à boire et à consommer de la cocaïne. Ça coûte cher la cocaïne. Tout mon argent y passait. Parce que tu n’en as jamais assez.

La cocaïne affecte « la glande du bonheur ». Quand tu en prends, t’as l’impression de ne plus avoir de problèmes. La glande en question diffuse de la dopamine. Dans la vie normale, la dopamine est sécrétée lorsqu’il y a des événements heureux. En prenant de la cocaïne, la glande devient déstabilisée. Elle te donne l’illusion du bonheur. Quand tu n’en as plus, même s’il t’arrive de beaux événements, tu ne seras pas heureux.

En 1998, chu rendu dans rue, une seringue dans l’bras, à coucher dans l’parc Viger. Là où j’ai vu deux personnes mourir. L’une d’une overdose et l’autre à coups de barre de fer. C’est rough, la rue.

Un jour j’ai trouvé un sac rempli d’argent au métro Berri. J’en ai pris une poignée. L’argent appartenait à un gang de rue. Ils m’ont retrouvé et sont repartis avec le sac à dos. Mais comme il manquait de l’argent, ils sont revenus quelques semaines plus tard. Ils m’ont pété le nez.

C’est cette année que j’ai connu feu T’Chico. Il vendait L’Itinéraire sur Saint-Denis. Moé, je bummais pour ma dope. Dope qui fut pour moi la pire prison que j’ai connue. Tu ne penses qu’à ça, ne vis que pour ça.

T’Chico m’a expliqué que le fait de vendre le journal était plus valorisant que de bummer parce que tu vends un produit qui te donne la chance de t’exprimer. C’est la voix des sans-voix.

Moé, L’Itinéraire m’a sorti d’la rue. Ça m’a tellement aidé que j’ai retrouvé ma fille Valérie grâce au magazine. J’étais ZOOM camelot (page 3) et je racontais comment, en vendant le journal, mon estime de moi avait monté. Ce n’est pas qu’un magazine, c’est un produit qui change les vies.

Tu fais partie d’un groupe qui aide la société grâce à ses programmes de réinsertion sociale, ses intervenants et son support. Par les exemples autour de moi, j’ai réalisé que je pouvais m’en sortir. J’ai repris espoir. J’ai envoyé l’article à Valérie et elle m’a appelé. Depuis ce temps, nous entretenons une bonne relation.

Grâce à mon cheminement avec L’Itinéraire, j’ai arrêté de me geler, les gens m’ont vu évoluer et m’ont fait confiance. J’ai donc pu avoir un appartement et reprendre ma vie en main. J’ai une très bonne relation avec mes trois filles. On se voit régulièrement et je vais être grand-père pour la sixième fois.

Maintenant, je m’implique beaucoup au sein du groupe. Je suis vice-président du conseil d’administration, j’écris, je vends le magazine, je fais de la distribution, du développement, du recrutement et de la formation.

Merci L’Itinéraire  !

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L’Itinéraire est une voix unique dans le paysage médiatique québécois. Il donne la parole aux sans-voix, des personnes marginalisées, itinérantes ou à risque de le devenir.

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