Une blague pseudo-scientifique veut que quand on pose la question de la somme de 2 + 2, on peut obtenir trois réponses. Le cartésien organisé et obéissant répondrait 4. Le penseur qui relativise tout suggérerait 4 plus ou moins un écart qui dépend de l’exactitude de la mesure des items cumulés. L’actuaire répondrait : comment veux-tu que ça donne ?

Cette dernière proposition rappelle trop simplement que certains prennent peu effet des prémisses avant de déterminer les conclusions qu’ils veulent voir prévaloir. Cette impression prévaut manifestement dans les discours politiques, alors que les paroles faisant de l’effet prennent soudain force de loi et de vérité.

Ce désir d’affirmation, dont les fondements et les effets sont souvent balayés sous une carpette d’apparat pour garantir l’assentiment, est généralement lourd et prononcé pour démontrer le pouvoir qui prétend rallier la majorité. 

Ce serait bien mal agir en sciences, et principalement en médecine, si des décisions étaient prises de la sorte. De fait, l’affirmation forte et convaincante en sciences est celle qui vient avec une série de mises en contexte, de commentaires pour qualifier la validité de la preuve et des parenthèses appuyées qui spécifient la portée de la démonstration. 

L’absolu n’existe pas en médecine, du moins tant que nos connaissances seront imparfaites et que l’on affublera l’attribut d’art à la profession médicale.

L’absence d’absolu

En médecine, l’imprécision fait partie du quotidien, et les « insuccès » doivent être expliqués aux patients dont le quotidien n’est pas amélioré par l’évolution de la maladie ou les traitements. Avec les années de pratique dans une spécialité, l’oncologie, qui a certes des limites et des zones d’ombre, le doute devient une variable que l’on doit insérer dans chaque action. 

Ainsi, alors que l’acceptation de l’incertitude s’impose comme critère de liens sociaux, il devient intolérable d’ouïr des dires politiques visant à brusquer sans respect, en contravention d’engagements antérieurs et en suscitant le dénigrement d’individus ou de groupes qui forment la société.

De fait, le procès d’intention qui est fait aux médecins spécialistes a des effets quotidiens en causant une diminution de l’engagement de ceux qui sont au front avec la maladie et les patients. Tout connaître en médecine est impossible, et le corollaire s’applique en politique. Ainsi, prétendre avoir la vérité et vouloir l’imposer parce qu’on exerce une partie du pouvoir public représente un abus que les plus humbles s’obligeront à éviter.

La balance du pouvoir

Depuis les élections fédérales, on a parlé abondamment de balance du pouvoir dans un contexte de gouvernement minoritaire. Au-delà de la question ponctuelle du gouvernement fédéral, est-ce qu’un nombre de députés devrait permettre d’exercer un pouvoir absolu et d’imposer un discours clivant ? Cet état de fait devrait plutôt nous amener à réitérer notre credo dans la séparation des pouvoirs pour assurer l’ordre social.

Un récent jugement a rappelé le nécessaire recours à des tiers pour justifier la valeur d’actions gouvernementales. Les juristes de l’État ont eu gain de cause dans le conflit de travail qui les opposait au gouvernement, qui avait édicté leurs conditions de salaire et de travail, sans égard à la négociation qui doit permettre aux travailleurs de se représenter et sans respect de la notion de rapport de force qui doit être en proportion des revendications et responsabilités de chacun.

Je me plais à revenir sur ce jugement, qui a malheureusement vite été écarté de l’actualité pendant la campagne électorale, alors qu’il a le potentiel de redéfinir l’exercice du pouvoir tel qu’appliqué par divers gouvernements, principalement depuis René Lévesque avec la « piscine ».

Une majorité en chambre n’autoriserait donc pas toutes les actions que le gouvernement pourrait imposer avec la prétention affichée et souvent fallacieuse de gouverner pour le bien de l’État et de tous ses citoyens.

Négociations à venir du secteur public

Récemment, M. Legault a soufflé sur les braises en déterminant à l’avance l’issue qu’il souhaite voir imposer par une loi pour les conditions salariales et de pratique des médecins spécialistes, mais aussi pour les conditions salariales de presque tout le secteur public. A-t-il déjà décidé à l’avance du résultat qu’il veut donner à 2 + 2 ? Des négociations basées sur des arguments pourraient résulter à 4 plus ou moins une certaine variation en fonction de variables reconnues par les deux parties. Par contre, une loi s’inscrirait comme le désir de faire fi de la question et de simplement décréter un chiffre par désir d’imposer sa voix, de montrer son pouvoir.

J’ai déjà écrit que l’exercice du pouvoir est un jeu compliqué et délicat alors que les attentes sont nettement supérieures au potentiel réel d’influer sur l’évolution de la société. En jugeant du pouvoir législatif avec humilité, il me semble que la recherche du consensus et du discours raisonné a plus de chances d’actualiser des changements sociaux que l’affrontement partisan. 

La partisanerie permet d’énergiser et de définir un groupe et ses visées, mais elle devient médiocre lorsqu’elle vise à nier des droits et des évidences…

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