Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement de François Legault nous répète qu’il faut mieux choisir les immigrants. Oui, pour répondre à des besoins en main-d’œuvre, mais aussi et surtout pour favoriser leur intégration à la société québécoise. N’est-ce pas là ce qui est au cœur des nouvelles mesures visant la francisation des nouveaux arrivants ? 

La sélection et l’intégration des nouveaux arrivants au Québec est une affaire complexe, certes, mais l’immigration est une nécessité pour notre société. Sans elle, le Québec ne pourra continuer à progresser, à évoluer, car il est confronté à un défi immense, celui d’une inexorable baisse démographique. La combinaison du vieillissement de la population québécoise et de la baisse du taux de natalité contribue directement au phénomène.

L’accueil d’immigrants est présenté par de nombreux intervenants socioéconomiques comme une des solutions à cet enjeu. Jusqu’à tout récemment, grâce au Programme de l'expérience québécoise (PEQ), la sélection d’étudiants internationaux formés au sein des universités québécoises a été l’un des mécanismes contribuant à faciliter l’intégration de milliers d’immigrants compétents et qualifiés au Québec.

C’est particulièrement le cas dans les nombreux programmes de maîtrise et de doctorat du secteur des sciences humaines et sociales, dans lesquels les étudiants internationaux sont souvent majoritaires. 

Dans cette optique, les modifications apportées récemment à la liste de disciplines considérées comme prioritaires dans ce programme posent problème. En limitant l’accessibilité au PEQ à certaines professions, le Québec pourrait se priver de nombreuses ressources pourtant essentielles pour affronter les défis actuels, y compris ceux associés à la révolution numérique. Ce faisant, le gouvernement semble ignorer l’apport prioritaire des formations en sciences humaines et sociales au bon fonctionnement de notre société.

Le Québec d’aujourd’hui ne s’est pas bâti que grâce aux citoyens formés dans une liste restreinte de professions. En tant que doyen de la faculté des sciences sociales de l’Université Laval, j’amorce régulièrement mes interventions en affirmant que la Révolution tranquille s’est construite grâce à la contribution de citoyens engagés qui, par leurs idées, ont imaginé de nouvelles institutions, de nouveaux programmes gouvernementaux, de nouvelles politiques publiques.

La faculté des sciences sociales de l’Université Laval a eu le privilège de contribuer à former plusieurs de ces bâtisseurs du Québec moderne. Ils étaient anthropologues, économistes, politologues, psychologues, sociologues, travailleurs sociaux. Toutes ces disciplines sont largement absentes de la nouvelle liste des formations admissibles au Programme de l’expérience québécoise – Diplômé du Québec. Est-ce dire que leur contribution à la société n’est plus nécessaire aujourd’hui ?

Plus que jamais

Au contraire, en cette ère de l’opinion médiatique instantanée et polémique, nous avons besoin plus que jamais de ce regard nuancé, basé sur des analyses méthodiques et des données objectives. Celles-ci sont plus que jamais essentielles, pour nous aider à comprendre les différentes facettes que recouvrent les enjeux fondamentaux qui marquent notre société. Le savoir, les faits et la nuance sont des boucliers contre les préjugés et les discriminations de toute sorte. Le savoir, les faits et la nuance sont des outils indispensables au développement de sociétés pluralistes où le débat repose sur un réel dialogue.

Un de nos grands sociologues québécois, le professeur Guy Rocher, en parlant du monde qui nous entoure, affirmait que « c’est la fonction, voire la mission, des sciences sociales que d’apporter le regard le plus objectif possible sur ces réalités, à la fois institutionnelles et mouvantes, pour mieux les révéler, pour les appréhender dans une perspective critique et pour contribuer à une juste appropriation des futurs possibles ».

Le Québec d’aujourd’hui a besoin d’immigrants compétents et provenant de tous les horizons. Il a besoin de citoyens prêts à mettre leurs connaissances et leurs compétences au profit de leur société d’accueil, et ce sont ces citoyens que nous diplômons dans les programmes de sciences humaines et sociales.

Les défis associés à la révolution numérique sont grands. S’il est vrai que nous avons besoin de spécialistes afin de nous positionner dans un monde de plus en plus compétitif, nous avons plus que jamais besoin de généralistes capables d’adapter notre quotidien à la nouvelle réalité.

Derrière chaque programmeur, technicien, ou n’importe quel spécialiste se cache un grand nombre d’intervenants qui œuvrent à mettre en place les conditions pour permettre le développement des nouvelles technologies.

Il y a également tous ceux qui utilisent ces technologies et qui leur donnent une pertinence au quotidien. Certains parlent ici d’acceptabilité sociale.

Le Québec est une société ouverte, inclusive et il ne peut pas se passer de la contribution des immigrants, quelle que soit leur profession. Le PEQ est un excellent véhicule d’intégration. Le ministre lui-même le reconnaissait dans le document intitulé La planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022 en affirmant que « par leur expérience préalable au Québec, ces personnes [les participants du PEQ] ont déjà amorcé leur processus d’immigration au marché du travail et à la société québécoise, ce qui en fait des candidats de choix à l’immigration permanente ».

Les besoins de main-d’œuvre au Québec sont grands et variés. Il faut continuer de faciliter le processus d’immigration des étudiants que nous formons, indépendamment de leur domaine de formation. Ils sont intégrés, ils aiment le Québec et ils vivent en français. Et surtout, quelle que soit leur profession, ils contribueront activement à bâtir le Québec de demain. Nous en avons besoin.

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