Pour les féministes, le fameux test des valeurs que souhaite imposer la CAQ aux nouveaux arrivants pour savoir s’ils sont assez favorables à l’égalité entre les hommes et les femmes pour être dignes de travailler ici a quelque chose de frustrant. Pour vous aider à comprendre, laissez-moi vous donner un aperçu d’une journée typique dans la vie d’une féministe.

Le matin, la féministe lit son journal en buvant son café. Les grands titres lui révèlent un monde dans lequel l’égalité hommes – femmes est loin d’être atteinte. « Éric Lapointe quitte l’émission La voix : le rockeur aurait été arrêté pour violence conjugale ». La féministe remarque la hiérarchisation des titres qui priorise le divertissement plutôt que l’enjeu social et se souvient que 30 % des crimes contre la personne sont commis en contexte de violence conjugale, dont 78 % des victimes sont des femmes. « Drame familial à Montréal », lit ensuite la féministe. L’homme qui a tué ses deux enfants parce qu’il vivait mal la rupture avec sa conjointe était pourtant qualifié de « boute-en-train ».

« Deux femmes sortent seules dans l’espace ». La féministe se demande quels sont leurs noms et pourquoi elles sont considérées comme seules si elles sont deux. La féministe se rappelle que leur voyage avait été reporté faute de scaphandre à leur taille. « Belgique, une femme de 44 ans choisie comme première ministre ». La féministe voudrait bien se réjouir d’une augmentation de la représentation féminine parmi les chefs d’État, mais son enthousiasme est ralenti par les éléments d’information choisis par la rédaction. Pourquoi cette personnalité publique est-elle réduite à son âge ? N’y a-t-il pas plus banal que l’âge de 44 ans pour être élu ? Trudeau, 47 ans. Macron, 41 ans. Obama lors de son élection : 47 ans. En lisant l’article, elle apprend qu’il s’agit de la première femme à occuper ce poste.

PHOTO ASSOCIATED PRESS / NASA

Les astronautes Christina Koch et Jessica Meir à l’extérieur de la Station spatiale internationale le 18 octobre

Vous pensez certainement qu’après son café, la féministe prendra son clavier pour cracher son venin sur toutes ces manifestations subtiles de misogynie latente. Mais la féministe a autre chose à faire, comme gagner sa vie. 

L’équité salariale est toujours en sa défaveur, même au Québec, où l’on prétend que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur suprême au point d’écarter ceux qui n’y adhèrent pas.

Lorsqu’elle dénonce ce fait, plusieurs personnes lui expliquent que c’est parce que les femmes travaillent moins que les hommes. Elle ne sait pas par quel bout prendre ses interlocuteurs mal informés. Doit-elle leur rappeler que même le taux horaire est inégal ? Ou leur demander pourquoi ils ne trouvent pas problématique que les femmes travaillent moins que les hommes ?

La féministe passe son chemin parce qu’elle sait qu’elle doit choisir ses combats. Elle sait qu’il y a une quantité limitée de doléances qu’elle peut formuler sans se mettre à dos des personnes en situation de pouvoir ou simplement se faire traiter de mal baisée, de victime professionnelle, de féminazie ou de misandre. Car au Québec, on est pour l’égalité entre les hommes et les femmes, mais lorsqu’une féministe ose dire que les boys club sévissent encore, ça se peut qu’un Normand la traite de « folle » qui aurait besoin d’un « pénis bien bandé qui procure de grandes jouissances aux femmes dites normales ». Est-ce que Normand passe le test des valeurs ?

Mais davantage que les commentaires de Normand, ce que la féministe redoute le plus, c’est de passer encore pour la rabat-joie qui voit des injustices partout auprès de gens qui se targuent pourtant d’être pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Pendant que l’homme féministe est acclamé pour avoir affirmé contre toute controverse que maltraiter les femmes, c’est poche, la femme féministe, elle, nous casse les couilles avec ses histoires de charge mentale, de plafonds de verre ou de jouets non genrés.

Le féminisme, c’est l’fun pour se penser meilleur que les autres ou pour vendre des émissions de télévision à des milléniaux qui n’ont plus la télé, mais le reste du temps, sérieux, ça gosse.

La féministe n’a pas choisi d’entrevoir constamment la société sous le spectre des inégalités. Simplement, une fois qu’elle a vu les mécanismes à l’œuvre, elle les remarque tout le temps, même si pour plusieurs de ses compatriotes, l’égalité est atteinte et le combat, inutile. Et devant ses inégalités persistantes, la féministe constate toute l’hypocrisie du test des valeurs de la CAQ. Elle se demande en outre comment on peut demander aux immigrants si les hommes et les femmes sont égaux devant la loi, alors que le gouvernement vient d’adopter une loi sur les symboles religieux qui discrimine essentiellement des femmes à l’embauche dans la fonction publique.

Le test des valeurs de la CAQ, c’est un peu comme si les membres honoraires d’un club littéraire décidaient de rendre l’accès à leur groupe très sélect conditionnel à la lecture de Proust, et qu’au moment de formuler les questions de l’examen d’entrée, réalisaient qu’aucun d’entre eux n’avait vraiment lu À la recherche du temps perdu. Comme la lecture de ce roman en sept tomes, l’égalité entre les hommes et les femmes est un bel idéal à atteindre. Mais de là à dire qu’il s’agit d’une valeur si caractéristique des Québécois qu’elle nous autoriserait à décider qui peut faire partie de la gang ou non, permettez à la féministe frustrée d’en rire.

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