En septembre était rendu public le bilan que la direction du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a fait de ses trois premières années d’enquête.

Sans grande surprise, ce bilan comporte plusieurs angles morts et n’aborde pas le constat majeur auquel sont arrivées la Ligue des droits et libertés, la Coalition contre la répression et les abus policiers et d’autres organisations : au Québec, c’est la police qui continue d’enquêter sur la police lorsqu’une personne est blessée ou décède lors d’une intervention policière. On pourrait dire que nous avons affaire à un Bureau des enquêtes dépendantes plutôt qu’indépendantes.

En effet, la loi qui a créé le BEI en 2013 fait en sorte que ce dernier se révèle à maints égards dépendant des autres corps de police, sur lesquels il doit pourtant mener des enquêtes indépendantes lors d’interventions policières causant blessure grave ou décès.

Voici quelques exemples.

L’équipe d’enquêteurs du BEI est composée en majorité d’enquêteurs issus du milieu policier. En date du 30 juin 2019, 31 enquêteurs sur 44, soit 70 %, avaient été des employés d’un service ou corps de police, que ce soit à titre de policiers ou (plus rarement) de personnes ayant été des employés d’un service ou corps de police.

Dans certaines enquêtes du BEI, il arrive que des enquêteurs affectés au dossier soient d’anciens policiers du corps de police impliqué dans l’intervention. C’est le cas de l’enquête concernant la mort de Koray Kevin Celik, survenue le 6 mars 2017 lors d’une intervention du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Sur les sept enquêteurs du BEI affectés à cette enquête, deux ont déjà été policiers au SPVM. Le BEI a lui-même confirmé cette situation en réponse à une demande d’accès à l’information. Dans combien d’autres cas une telle situation est-elle survenue, donnant clairement lieu à une apparence de conflit d’intérêts ?

Autre exemple préoccupant du manque d’indépendance du BEI : le processus de sélection des enquêteurs du BEI fait appel à la Sûreté du Québec (SQ). C’est en effet ce corps policier qui mène les enquêtes de sécurité sur les candidat(e)s aux postes d’enquêteur du BEI, ce qui octroie à la SQ un important pouvoir d’intervention dans le processus de nomination des enquêteurs.

La nomination au poste de direction du BEI se fait à partir d’une liste de trois personnes recommandées au ministre de la Sécurité publique par un comité de sélection. Font partie de ce comité de sélection un ancien directeur de corps de police, qui n’est pas agent de la paix, recommandé par le conseil d’administration de l’Association des directeurs de police du Québec, ainsi que le directeur général de l’École nationale de police du Québec.

Ainsi, des représentant(e)s des milieux policiers ont leur mot à dire dans le processus de sélection pour la direction du BEI.

La quasi-totalité des enquêtes du BEI nécessite le recours à ces services de soutien d’autres corps policiers puisqu’il ne dispose d’aucune ressource spécialisée. Il doit donc faire appel aux agents reconstitutionnistes en collision et aux techniciens en identité judiciaire de la SQ, du SPVM ou du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) pour mener à bien l’aspect « technique », mais crucial, de presque toutes ses enquêtes. Ces spécialistes jouent un rôle central dans la collecte d’éléments de preuve.

Le BEI est silencieux sur le fait que les informations qu’il communique au public au moment du déclenchement de ses enquêtes sont issues du corps de police impliqué dans l’incident. Encore une fois, cette pratique a été confirmée par le BEI lui-même en réponse à une demande d’accès à l’information.

Ces exemples de dépendance du BEI à l’égard des autres corps de police font en sorte que le Québec n’a toujours pas un mécanisme d’enquête sur la police qui soit véritablement indépendant, impartial et transparent et qui permette que la population et les proches des victimes blessées ou décédées lors d’interventions policières puissent avoir vraiment confiance en ce mécanisme d’enquête. 

Nous demandons depuis plusieurs semaines au gouvernement du Québec qu’il prenne ses responsabilités et que ces enjeux soient abordés dans le cadre d’une commission parlementaire. Le BEI ne peut pas avoir le premier et le dernier mot sur le bilan de ses activités. Un regard citoyen est nécessaire.

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