J’adore les variations spectaculaires de couleurs du Québec quand arrive l’automne. Mais attention, je ne parle pas ici de l’ambivalence politique qui amène la Belle Province à varier du bleu foncé aux rouges en passant par les oranges pour revenir à un bleu plus clair et plus encore. Mais je dois avouer que ces changements de bord subits des Québécois d’une élection fédérale à l’autre ont longtemps posé un énorme défi de compréhension à l’immigrant que je suis. 

Au début, je pensais que c’est une mauvaise vision des couleurs qui amenait peut-être les gens d’ici à confondre les pancartes électorales. Un gène de daltonisme national dont les traces sont encore bien perceptibles dans notre parlure. Pour cause, au Québec, les hommes blancs naissent bleus et les femmes blanches naissent roses. Et bizarrement, quand on met ensemble des tas de bleus et des tas de roses, on dit que c’est noir de monde. Et s’ils sont bleus en venant au monde, les hommes peuvent virer au rose après le mariage. Heureusement, quand ils grisonnent et que le temps leur en fait voir de toutes les couleurs en limitant leurs capacités physiques, ils peuvent retrouver leur couleur de naissance grâce au Viagra, évitant ainsi que madame ne voie rouge, qu’elle broie du noir et qu’elle cherche refuge dans les bras d’un jeune homme plus vert.

Trêve de plaisanteries ! En vérité, avec le temps, j’ai fini par comprendre qu’ici, on change de couleur politique comme on se bat avec un oreiller pendant la nuit pour arriver enfin à dormir comme un bébé.

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« Même si le rouge de l’unifolié s’est affadi après les élections, la feuille d'érable a donné aussi des signaux aux tiers partis », écrit Boucar Diouf.

Le Québec a toujours éprouvé un certain inconfort existentiel dans la fédération. C’est pour ça que parfois, tout se passe comme si un vague à l’âme généralisé traversait en même temps la population francophone et la poussait dans la même direction électorale.

Jean-Marc Léger dit souvent que lorsque l’aiguille des sondages bouge de 3 % dans l’anglophonie canadienne, on parle de grand changement, alors qu’une variation de 15 % au Québec est qualifiée de simple saute d’humeur. J’ajouterai que pour comprendre ces sautes d’humeur qui posent tant de défis aux sondeurs, il faut descendre dans la partie la plus profonde de l’iceberg culturel de la nation. Celle qui cache les peurs, les angoisses, le besoin de reconnaissance et autres vagues à l’âme qu’on cherche depuis toujours à calmer pour trouver le sommeil.

Mais revenons aux couleurs automnales dont je voulais vous parler avant de déraper sur l’instabilité électorale qui nous caractérise. Ces spectaculaires métamorphoses des arbres me font du bien. C’est d’ailleurs la seule période de l’année où je me transforme en photographe et fossilise des images d’érables dans mon téléphone. Mais pourquoi les arbres se colorent-ils aussi vivement avant de perdre leurs feuilles ? Comme apprentis biologistes, la réponse qu’on nous donnait traditionnellement expliquait la chose par la simple dégradation de la chlorophylle dans les feuilles. On nous racontait que c’est la disparition de ce pigment qui masquait la présence des autres coloris flamboyants qui était à l’origine de ce spectacle. Autrement dit, c’est l’effondrement des verts qui a laissé toute la place à l’orange. Ceux qui pensent encore que je parle de politique se trompent. Quoi que…

Pourquoi les arbres dépensent-ils autant d’énergie à fabriquer ces couleurs dans des feuilles condamnées à tomber rapidement ? De toutes les théories émises par les spécialistes pour expliquer ce phénomène, ma préférée est celle du défunt professeur de l’Université d’Oxford nommé William Hamilton. En 2000, ce biologiste a avancé l’hypothèse selon laquelle les arbres investissaient dans ces couleurs vives pour passer des messages aux pucerons, qui ont la mauvaise habitude de pondre leurs œufs sur leurs branches à cette période de l’année.

Plus les couleurs sont vives, plus l’érable dit aux pucerons qu’au printemps, il sera impitoyable avec leurs larves qui essayeront de s’épanouir dans son feuillage.

L’explosion des couleurs automnales de la feuille d’érable cacherait donc une missive envoyée à la famille des pucerons (les aphidés) pour leur montrer la combativité de l’arbre advenant une infestation. En biologie, ce principe est appelé celui du « signal honnête ».

Là, je vous entends me demander où va cette histoire d’arbres à feuilles caduques et de pucerons. J’y arrive. En fait, ayant grandi à côté d’un grand-père animiste qui voyait l’avenir dans les nervures de feuilles de baobab, je voulais simplement attirer votre attention sur le fait qu’au-delà des pucerons, cet automne, même si le rouge de l’unifolié s’est affadi après les élections, la feuille d'érable a donné aussi des signaux aux tiers partis. Des missives que le dépositaire de cet art divinatoire de mon grand-père que je suis voudrait vous faire partager.

Par exemple, à Jagmeet Singh, la feuille d’érable a dit de ne jamais oublier que la couleur orange peut se dissoudre rapidement dans le rouge et engendrer un brun bitumineux comme le contenu du pipeline de la discorde à venir. Qu’est-ce qui arrive quand la feuille passe de l’orange au brun ? Elle chute au moindre coup de vent.

Au Parti vert, la feuille d’érable dit certainement qu’Elizabeth May a fait son cycle et gagnerait à tomber cet automne pour permettre à une nouvelle ramure d’un vert plus lumineux d’inscrire ce parti dans la mouvance environnementaliste planétaire.

À Maxime Bernier, la feuille d’érable a confirmé qu’elle n’aime pas se faire passer un sapin, surtout celui du scepticisme climatique, par des gens qui sont durs de la feuille face aux avertissements des scientifiques.

Enfin, à Yves-François Blanchet, la feuille d’érable ne dit évidemment pas grand-chose. Mais, même si le rouge et l’orange sont dits complémentaires au bleu dans le cercle chromatique, force est de constater qu’ils le sont bien moins dans notre spectre politique. Jusqu’à preuve du contraire, la feuille d’érable ne vire jamais bleue à l’automne et ça, M. Trudeau l’a rappelé clairement à sa première conférence postélectorale.

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