S’il y a une chose bien marquante, voire presque malaisante, en cette fin de campagne électorale, c’est la grande convoitise dont le Québec fait l’objet.

La Belle Province est devenue plus que belle. Elle se fait désirer et chanter la pomme de tous les bords. Mais comme d’habitude, la grande sérénade est massivement combinée aux exhibitions massives d’épouvantails pour brouiller les esprits et la raison des électeurs quand viendra le temps de passer à l’urne. 

Je suis de ceux qui détestent profondément cette propension des politiciens à parler plus souvent des calamités qui attendent les électeurs advenant l’élection de leurs adversaires que de leur propre programme. Depuis toujours, j’ai un grand malaise avec cette manipulation par la peur et cette diabolisation de l’autre dont Philippe Couillard était un grand spécialiste. Du moins jusqu’à ce que la population y devienne totalement insensible et lui tourne massivement le dos.

Est-ce que vous connaissez l’antilope africaine appelée le topi ? Permettez-moi de vous parler encore de biologie pour m’étendre plus largement sur le sujet. Le topi (Damaliscus korrigum) est un animal dont les mœurs reproductives me rappellent un peu la stratégie des chefs en cette fin de campagne. Chez cette espèce, qu’on retrouve dans beaucoup de pays africains, en période de reproduction, c’est la femelle qui choisit un mâle et quand elle a ce qu’elle veut, elle cherche aussitôt à partir vers d’autres coins de savane où un autre mâle viril l’attend.

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Des antilopes africaines topis au Kenya

C’est là que les choses se compliquent, car même si monsieur ne s’occupe pas des femelles pendant le reste de l’année, il cherche absolument à les empêcher de quitter son territoire. Aussi, lorsqu’il voit la belle libertine filer à l’anglaise pour rejoindre un autre séducteur, il la dissuade avec une technique de mystification comparable à celle utilisée par les politiciens désireux de rabattre les électeurs dans leur filet.

En effet, pour garder son contrôle sur la belle qui veut partir, le mâle lui fait croire qu’un grand danger l’attend sur son chemin.

Comment ? En émettant un reniflement normalement utilisé par ces antilopes comme signal d’avertissement à l’approche d’un prédateur. Lorsque cette alerte se fait entendre, la femelle épouvantée rebrousse chemin et revient se réfugier auprès de lui.

Ça ne vous fait pas penser à tous ces politiciens qui sortent les épouvantails pour influencer le choix des électeurs ? Ceux qui nous rappellent constamment, en cette fin de campagne, que s’éloigner d’eux pourrait nous valoir de cauchemardesques années dans les méchantes griffes de l’adversaire font la même chose que le mâle de cette antilope.

Pourtant, les chefs gagneraient à être plus profonds et sincères, car il y a une façon plus simple de mériter la confiance de la Belle Province. Même si c’est à l’intérieur du Canada, le Québec est une nation rebelle qui aspire depuis toujours à une certaine liberté. Une nation qui veut simplement exister sans se faire modeler, raboter et aplanir pour correspondre à la volonté d’une certaine élite de l’anglophonie canadienne. Aussi, le meilleur programme électoral pour le séduire, c’est de le respecter sincèrement dans ses différences. Permettez-moi de donner ici quelques idées à inclure dans les programmes des partis fédéraux pour le prochain vote, qui risque d’arriver vite advenant l’élection d’un gouvernement minoritaire le 21 octobre.

On n’a pas besoin d’être un grand stratège pour comprendre qu’au-delà de la langue et du territoire, l’exception québécoise au Canada est indéniable pour celui qui veut vraiment la saisir.

Des exemples. Le fait que le Québec est la seule nation en Amérique à avoir déconfessionnalisé son système scolaire ; son profond attachement à la laïcité unique en Amérique ; ses garderies dites à 7 $ uniques en Amérique ; sa Loi sur la protection du consommateur unique en Amérique ; sa position de leader avant-gardiste unique en Amérique sur l’aide médicale à mourir qui a inspiré la loi fédérale ; son attachement indéfectible au libre choix et aux droits et respect des minorités sexuelles ; son rejet de l’idéologie multiculturaliste d’inspiration britannique ; son attachement au partage de la richesse qui en fait la nation la plus syndiquée, la plus imposée, mais aussi où l’on retrouve le plus de services publics en Amérique du Nord ; son attachement à l’égalité entre les sexes qui en fait aussi le seul endroit au Canada où, depuis 1981, le Code civil oblige les femmes qui se marient à conserver leur nom de naissance ; voilà autant de particularités dont il faut tenir compte quand on veut sincèrement reconnaître, respecter et séduire la Belle Province. Des particularités dont il faut aussi être fier malgré l’acharnement de ceux qui cherchent à nous faire croire l’inverse.

Même pour la protection de l’environnement, le Québec se distingue. Sinon, comment expliquer que la petite ville de Montréal a vu défiler le plus grand nombre de marcheurs pour le climat en Amérique ? Où avez-vous vu près de 500 000 personnes défiler et demander de véritables actions politiques pour répondre à l’urgence climatique ? C’est aussi le même progressisme et le même attachement à la justice sociale qui avaient mobilisé une foule record de quelque 200 000 personnes le 15 février 2003 pour dénoncer la guerre de Bush en Irak.

Le Québec est loin d’être parfait, mais il est certainement la nation la plus progressiste en Amérique.

D’ailleurs, Greta Thunberg, qui participait à une marche à Edmonton, hier, repartira avec la profonde certitude que le Québec et l’Alberta sont des sociétés très différentes. Le Québec est une nation distincte et chercher à le comprendre est bien plus efficace qu’essayer d’aplanir ses particularités qu’une partie du Canada considère comme des caprices existentiels. On entend beaucoup dire que les partis fédéraux n’ont pas vu arriver la montée du Bloc. Ce qui, à mon avis, témoigne d’une grande méconnaissance ou peut-être même d’un certain mépris pour ce que nous sommes. 

Ma mère disait souvent que lorsqu’on méprise quelqu’un, on ne peut pas le comprendre, car on est souvent hermétiquement fermé à ses idées, ses arguments et ses émotions. Et quand on y pense, abuser de la peur et du mensonge pour épouvanter quelqu’un n’est-il pas aussi symptomatique d’un certain mépris pour son intelligence ?

Quand les libéraux disent aux Québécois que le danger qui les guette viendra de la droite et que les conservateurs les conseillent de se méfier des coups de sabre qui surgiront inéluctablement de la gauche, il ne faut pas se surprendre que beaucoup d’électeurs voient dans le Bloc un garde-corps pour veiller sur leur intégrité. Voilà ce que nous disent les derniers sondages. Le succès du Bloc s’explique aussi par sa capacité à connecter avec le vague à l’âme d’une partie de la population. Malheureusement, cette sensibilité à la survie, aux craintes et à la vulnérabilité existentielle de cet îlot francophone unique en Amérique semble taboue quand on veut s’attirer la faveur de l’élite médiatique de l’anglophonie et séduire plus large.

Ha ! j’ai failli oublier avant de terminer mon texte ! Qu’est-ce qui arrive avec la femelle topi ? Elle finit par s’habituer et par ignorer les manigances du mâle. Elle finit par voter avec son cœur et non avec les hormones de stress.

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