Dans son roman Le guide du voyageur galactique, Douglas Adams raconte qu’un peuple hyperintelligent a un jour construit le plus grand ordinateur de tous les temps pour calculer la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste.

Après sept millions et demi d’années à réfléchir et à faire tourner ses algorithmes, la machine fournit enfin la réponse que tout le monde attendait : « 42 ». Mais la réponse ne s’avéra d’aucune utilité, parce que personne ne se rappelait après tout ce temps la question précise qu’on avait posée à l’ordinateur.

Les leçons à tirer de cette fable galactique sont d’une certaine pertinence dans le dossier de l’abolition des commissions scolaires. Si beaucoup de gens semblent d’accord avec ce que le parti au pouvoir se propose de réaliser, il n’est pas si clair que tous ces gens se souviennent des questions qui ont été soulevées au départ et qui pourraient justifier ce qu’on s’apprête à réaliser.

Première question : comment augmenter la participation aux élections ?

Dans le cadre du projet de loi préparé par le ministre, le projet de loi 40, on entend confier aux parents des conseils d’établissements l’élection de ceux qui siégeront aux conseils d’administration des centres de services.

Cela voudra dire que pour pallier le taux de participation famélique aux élections scolaires, on va demander à des gens élus par plus ou moins 2 % des parents de désigner qui siégera à ces conseils. La solution au problème de participation, ce serait donc moins de participation aux élections ? Visiblement, on a oublié la question initiale. Sinon, on aurait stimulé la participation en regroupant élections scolaires et municipales, favorisé le développement du vote électronique et fait une authentique promotion de la démocratie scolaire. On n’aurait surtout pas appelé les gens à les boycotter.

Deuxième question : comment mieux gérer les fonds publics ?

On a reproché aux commissions scolaires de nourrir des bureaucraties gourmandes qui détournent des fonds qui auraient eu avantage à être investis dans les services aux écoles. Le problème avec cet argument, c’est que les commissions scolaires consacrent moins de 5 % de leur budget annuel à des frais de nature administrative.

En fait, de tous les organismes publics et parapublics dont les villes et les ministères, ce sont les commissions scolaires qui coûtent le moins cher à administrer.

Quelle était la question ?

Troisième question : comment améliorer la réussite scolaire ?

Au fil des ans, on a dénigré l’école publique, lui renvoyant au visage de hauts taux de décrochage et sa faible capacité à diplômer ses élèves, qui ont été dans une certaine mesure la conséquence d’une réforme de l’éducation mal ficelée, principalement développée sous le règne de François Legault à l’éducation. Pourtant, données à l’appui et malgré des années de coupes, le décrochage est en baisse et les taux de diplomation augmentent de façon régulière pour atteindre des sommets jamais vus depuis la Révolution tranquille.

Cela, dans un contexte où l’organisation même du réseau de l’éducation crée, par sa structure, de l’échec. Je parle évidemment des effets délétères de la ségrégation scolaire : financement du privé et projets particuliers sélectifs qui minent le tissu social de l’école publique ordinaire.

Alors que les commissions scolaires, dans un contexte d’adversité bien documenté, pour ne pas dire d’hostilité, ont réussi à hausser la persévérance et la réussite des jeunes et des adultes sous leur responsabilité, on voudrait les abolir ? Quelle était la question ? Comment mieux faire réussir plus d’élèves ?

Quatrième question : nos décisions sont-elles fondées sur des données factuelles ou soumises à la saveur du jour ?

Le gouvernement s’est engagé à créer un Institut national d’excellence en éducation dont la responsabilité serait de s’assurer, notamment, que les politiques s’appuient sur des données de recherche. J’ai très tôt été associé à cette idée ; j’en ai été un des premiers promoteurs.

Malheureusement, ceux qui parlent actuellement de la gouvernance scolaire dans les médias, les conférences et les cabinets ministériels, ceux qui font la promotion de l’abolition des conseils scolaires formés d’élus ne semblent avoir qu’une connaissance plus que limitée des travaux de recherche américains et canadiens sur les sujets sur lesquels ils s’expriment.

Sur quelles données le ministre de l’Éducation s’appuie-t-il pour prétendre que le modèle qu’il entend proposer répondra aux quatre questions fondamentales qui auraient dû orienter tout ce débat : comment améliorer la démocratie scolaire ? Les fonds investis en éducation sont-ils bien gérés ? Comment augmenter la persévérance et la réussite scolaires ? Comment s’assurer que le développement de nos politiques publiques s’appuie sur les meilleures connaissances issues de la recherche ?

Malheureusement, et je paraphrase Douglas Adams, la réponse offerte par le ministre en matière de gouvernance scolaire n’est que de peu d’utilité, parce que personne dans ce gouvernement ne semble se rappeler après tout ce temps les questions précises qui avaient été posées en lien avec la gouvernance scolaire, et auxquelles il aurait fallu répondre autrement qu’en surfant sur des faits erronés et des opinions issus d’un vieux fonds de commerce adéquiste qu’on a soi-même montés en épingle pendant des années.

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